L’Amérique s’est donnée un président étonnant, inattendu et pour beaucoup inquiétant. Huit ans après la grande crise financière et immobilière américaine de 2008, un milliardaire dans l’immobilier a déjoué tous les pronostics : il s’est fait le chantre et le défenseur d’une Amérique protectionniste, promettant des emplois, moins d’impôts, des grands travaux réparant les territoires sinistrés, et le retour d’une grande Amérique fondée sur des valeurs conservatrices. Se montrant xénophobe, voire raciste, machiste, violent, souvent bouffon et imprévisible, imprécateur et menteur, il n’apparaissait pas « possible » qu’il devienne président des Etats Unis. Et pourtant il a été élu.
Est-il un accident de l’histoire ou la représentation d’une évolution durable de la conduite politique des peuples, dans un monde globalisé ?
Susan George a débattu avec nous de cette étonnante élection.
Voici le résumé de son exposé :
L’ élection de Trump était prévisible, conséquence logique de trente ans de néolibéralisme.
Hillary Clinton a davantage perdu que Trump a gagné. A partir d’un petit noyau de vérité, sa mauvaise réputation de corruption a largement été amplifiée par les républicains. Son appartenance a une classe de nantis et ses conférences pour Goldman Sachs aux rémunérations extravagantes ont été dénoncées par tous. Les minorités qui avaient soutenu Obama, latinos, noirs, femmes, n’ont pas voté pour Clinton. Bernie Sanders aurait peut-être pu gagner.
{{● QUI EST TRUMP ?}}
Il est né à New York dans le Queens, banlieue populaire, mais dans son quartier chic, et non à Manhattan, centre de la bourgeoisie. Il est fils d’émigrés qui ont fait fortune dans la construction d’immeubles. Il a été envoyé à l’académie militaire à 13 ans, pour « contenir » son caractère difficile, puis à l’université catholique Fordham et enfin à l’école des finances (Wharton) où il étudie l’économie immobilière. A noter qu’il n’appartient à aucun réseau influent. Mais manifeste constamment le besoin de reconnaissance, celle qu’il n’a pas obtenue suffisamment par sa naissance.
Il travaille un temps dans la société de son père, mais s’en affranchit assez vite tout en restant dans le bâtiment, mais dans une zone qui se rapproche de plus en plus de Manhattan.
Sa fortune est estimée à 3,5 milliards de $, mais fondée sur des biens immobiliers, elle fluctue selon les valeurs immobilières. Elle a ainsi baissée fortement ces derniers temps, alors que Donald Trump surestimait sa fortune pendant les élections. Il est aussi endetté auprès de grandes banques étrangères. Mais il a grand besoin de se faire valoir par sa réussite financière.
Il continue à construire, notamment la Trump Tower, dans le quartier le plus chic de Manhattan. Il possède également des golfs, des hôtels.
Il a fait trois mariages, dont deux fois avec des étrangères, et toujours avec des femmes très voyantes. Il a manifesté grossièreté et machisme envers les femmes.
Par ailleurs, en 2004 il créée une émission de télé-réalité « The Apprentice », à la gloire de l’entreprise, surtout de la sienne, mettant en scène des candidats à l’embauche dans la société de Donald Trump , qui acquiert vite une très forte audience.
Il est connu aussi pour sa vie très publique, son comportement grossier, ses déclarations provocantes contre Bush, contre Obama, contre les musulmans. Il a été celui qui a faussement reproché à Obama de n’être pas né américain, produisant un faux certificat de naissance.
{{● POURQUOI CE VOTE ?}}
Trump s’adresse aux CSP inférieures, au niveau scolaire bas, humiliées surtout depuis la crise de 2008, qui apprécient la rupture qu’il incarne avec le politiquement correct, son langage familier, ses goûts grossiers, ses critiques personnalisées. Il semble pouvoir recréer le rêve américain perdu d’ascension sociale pour soi-même ou pour ses enfants.
La situation économique américaine actuelle est également responsable. Si le chômage est inférieur à 5%, les jobs de service sont très sous-payés. Et de nombreux Américains sont mis à l’écart du marché de l’emploi. Un cinquième des Américains ne peuvent vivre avec leur seul salaire et ont recours au crédit. Beaucoup arrivent à la retraite sans économies et ne sont pas propriétaires. La crise immobilière en 2008 a en effet touché des milliers de personnes. Il y a quatre-vingts ans, ces électeurs auraient sans doute voté pour Roosevelt., alors que l’Amérique était dans une situation encore plus difficile. L’important est qu’ils croient Trump capable de faire pour eux ce qu’il a fait pour lui.
{{● LE PROGRAMME DE TRUMP}}
Il est irréaliste et contradictoire.
Il prévoit l’arrêt des subventions notamment à l’Europe par l’OTAN, l’arrêt de l’Obama Care, tout en indiquant qu’il va renforcer l’accès aux soins et que le coût de la santé va diminuer. Il prétend diminuer les impôts ainsi que la dette, mais il veut lancer de grands investissements publics qui devraient permettre la création massive d’emplois. Comment peut-il les financer ?
Ses projets farfelus comme la construction du mur à la frontière du Mexique ne seront sans doute pas réalisés.
Son protectionnisme affiché a plu à ses électeurs, mais risque de se heurter aux réalités économiques : une partie de la nouvelle économie est globalisée quoiqu’il veuille.
{{● SON CABINET}}
Il promet le pire : un général « criminel » de guerre à la Défense (Mattis), un dirigeant de Goldman-Sachs au Trésor, un sénateur de l’Alabama, Jeff Sessions, qui déteste les minorités et les immigrés et a fait campagne sur le thème de la loi et l’ordre, à la Justice, un secrétaire à la santé qui est opposé à l’Obama Care et au planning familial, une secrétaire à l’éducation qui a toujours milité en faveur des écoles privées et ainsi de suite.
Le secrétaire d’Etat choisi est à la tête d’un des principaux groupes pétroliers (Exxon). Le responsable de l’agence de l’environnement est climato-sceptique et sera chargé de ruiner les tentatives de réduction du CO2.
Il veut nommer des personnes chargées de détruire les politiques passées, y compris par des républicains, au sein des départements de l’administration.
{{● LES RELATIONS INTERNATIONALES }}
Il semble très en phase avec Poutine, mais jusqu’où ? En revanche il semble s’engager vers une guerre commerciale avec la Chine en freinant les importations chinoises. Il souhaite la destruction du traité avec l’Iran. Il envisage de faire payer les pays qui veulent être protégés au sein de l’OTAN. Sa politique d’émigration n’est pas encore très claire.
Sa caractéristique principale est l’imprévisibilité. Ce qui le rend dangereux mais risque aussi de limiter son impact.
Synthèse par Laure Prestat, membre du Cercle
{{* . Susan George}} est présidente d’honneur d’Attac et présidente du Transnational Institute, un institut de recherche internationale base à Amsterdam dont les « fellows », membres-chercheurs viennent de divers pays et sont tous actifs dans les mouvements sociaux de leurs pays respectifs. Elle est l’auteur de 17 livres dont le plus récent, « Les Usurpateurs », [Le Seuil, 2014] montre comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir réel. Susan George est membre de notre cercle.