La «gouvernance mondiale », tout le monde en parle. Pourtant, c’est un concept ambigu, voire trompeur.
S’agit-il de gouvernement politique mondial ? Non. Le monde est, moins que jamais, prêt pour cela au moment où les clivages s’affirment et où l’unilatéralisme américain compromet les tentatives pour construire un ordre politique mondial.
La « gouvernance mondiale » serait-elle celle du marché ? On sait bien que, si le marché est un moyen incomparable et irremplaçable pour réaliser les ajustements entre les actes économiques, il n’est qu’un instrument qui a besoin d’un encadrement et d’une vision à long terme ( « le marché est myope », selon les termes de Pierre Massé ). Laissé à lui même, il est impuissant à empêcher les dérives vers les excès de la spéculation qui ont entraîné la crise actuelle. La « gouvernance mondiale » ne peut davantage être fondée sur l’existence de lois économiques « naturelles », ni sur une théorie économique dominante, comme le modèle néo-classique qui inspire encore aujourd’hui la majorité des économistes. On sait que de nombreux postulats et hypothèses à la base de ce modèle, qui n’est qu’une construction abstraite, ne sont pas vérifiés.
Depuis quelques années, on constate un glissement du concept de gouvernance mondiale, au fur et à mesure que la doctrine qui sous-tend la pensée économique dominante évolue. Alors que, au cours du dernier quart du XXème siècle, la tentation était de laisser faire le marché, considéré comme autorégulateur, ceci culminant après l’effondrement du système communiste, la multiplication des crises à l’approche du XXIème siècle a conduit à prendre conscience du besoin de règles. On a donc assisté à l’avènement d’un nouveau discours, dit de la régulation, ou, plutôt de la réglementation (au sens anglo saxon ), se situant dans le cadre d’une voie intermédiaire entre le libéralisme pur et l’intervention de l’Etat.
Dans le même temps, la révérence vis à vis d’organismes indépendants des pouvoirs politiques chargés de faire prévaloir l’autorité de l’expertise s’est de plus en plus affirmée. Déjà, la multiplication des banques centrales indépendantes, la consécration du rôle d’organisations internationales, telles que le FMI, grand prêtre de l’orthodoxie, ou encore, la montée des agences de notation, allaient dans ce sens.
Mais ce discours s’est révélé pervers quand il a conduit à imposer, à la planète entière, des préceptes économiques uniformes dont le fondement théorique est contestable, ainsi que le despotisme d’experts dont le pouvoir n’est soumis à aucun contrôle.
C’est à ce moment – plus précisément, sous l’égide du « Consensus de Washington » – que s’est généralisée la préconisation des mêmes principes de gouvernance à tous les peuples, à l’instigation du FMI principalement. Or, on réalise aujourd’hui que « cela ne marche pas », que cela peut conduire à des catastrophes, comme en témoignent les exemples de la Russie et de l’Argentine.
Cela signifie-t-il que la recherche d’une « gouvernance mondiale » est une tâche illusoire, voire impossible ? Non. Il convient, cependant, de redéfinir ce concept.
Tout d’abord, la « globalisation » est un phénomène bien réel qui nécessite des régulations des échanges et des marchés mondialisés. Dans ce cadre, les différents pays doivent trouver leur place avec une politique économique adaptée à leur situation, en fonction de leur stade de développement. Il serait absurde, par exemple, d’imposer à un pays d’Afrique encore très proche d’un mode de fonctionnement tribal et artisanal les règles du jeu de l’économie des Etats-Unis.
Au demeurant, la coordination des comportements économiques ne peut pas avoir les mêmes caractéristiques ni la même intensité selon qu’il s’agit de nations insérées dans des ensembles déjà fortement structurés comme l’Union Européenne ou de pays isolés.
La construction d’une gouvernance mondiale ne peut être qu’un processus progressif. Celui-ci doit commencer par la mise en place de gouvernances régionales articulées par des régulations mondiales des marchés et réintroduire à leur juste place la souveraineté politique et le débat démocratique.
*Jean-Pierre Pagé est économiste, membre du Cercle Condorcet de Paris. Ses réflexions s’inspirent de la brochure « La France face au capitalisme », publiée par le Cercle Condorcet et Convictions.