La crise ­européenne?: entre incompétence, idéologie et rapports de force Jean-Luc Gréau

La nature des institutions humaines se dévoile avec le temps?: c’est actuellement le cas pour l’Europe et l’euro. La crise financière importée des USA est un bon révélateur.
L’Europe rêvée par certains Européens et surtout par les Français?: protectrice, normative et entreprenante, est malheureusement une construction imaginaire. Depuis 2008, l’Europe est un fantasme et non une réalité?; ses dirigeants font des choix idéologiques camouflés sous des impératifs techniques.

La crise financière
Est-ce par incapacité ou par idéologie que les dirigeants et les fonctionnaires européens n’ont pas vu venir la crise dont les signes avant-coureurs sont apparus aux USA dès la fin de 2005 avec la baisse du marché de la construction?? Les premiers défauts sur des emprunts américains sont survenus à l’automne 2006 et, à l’été 2007, des banques ferment des fonds d’investissement et la BCE injecte des liquidités pour débloquer le système bancaire. La faillite de Lehmann Brothers en septembre 2008 n’est que le point d’orgue d’une longue liste d’évènements annonciateurs. Il a donc fallu attendre octobre 2008 pour que la Commission européenne admette l’existence d’une crise bancaire et les risques de récession afférents pour l’Europe.
On ne listera pas ici les rapports élogieux d’institutions internationales sur l’Irlande et l’Espagne.

La situation de quelques pays
La Grèce aurait pu sortir en bon ordre de l’euro pendant l’hiver 2010 à un coût inférieur à ce qui a déjà été dépensé.
C’est un pays incivique (fraude généralisée, les agents économiques les plus riches sont exonérés d’impôts) dont la productivité est souvent faible.

L’Irlande, le Tigre celtique, a été longtemps encensé pour une dette publique faible et un léger excédent commercial.

La réalité est plus contrastée :
– la folie des banques a conduit à une très forte croissance de la dette privée,
– le résultat a été une bulle sur l’immobilier et sur le crédit à la consommation.

Le château de cartes s’est effondré :
– explosion de la bulle immobilière,
– faillite des banques,
– effondrement de l’activité,
– impossibilité pour l’Irlande d’emprunter sur les marchés pour financer sa dette
publique (qui est passée de 25?% à 120?% du PIB en quelques années).
L’Irlande a été sauvée par l’Europe sans contreparties. Par exemple, l’Irlande n’a pas augmenté son taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés en vue d’une harmonisation fiscale européenne (pour casser son dumping fiscal).
Ceci est dû au chantage de sociétés souvent américaines qui localisent fictivement de la valeur ajoutée et donc des profits en Irlande. Leur départ affaiblirait encore plus l’Irlande.
Ce pays a encore besoin de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour assainir ses finances.

Autant la Grèce et l’Irlande sont des pays dont la PIB absolue est faible?; autant l’économie de l’Espagne représente une part significative de la zone euro.
Le modèle espagnol a été encensé jusqu’en 2008 par de nombreux économistes et institutions internationales. Là encore, le château de cartes lié à la bulle immobilière, la corruption et la difficulté à développer des positions stratégiques fortes s’est effondré.
Les indices précurseurs n’ont pas manqué?:
– maîtrise de la dette publique, mais explosion de la dette privée (croissance double du crédit par rapport à la zone euro)?;
– fort endettement des entreprises?;
– forte part du tourisme et de l’accueil de résidents étrangers.

La classe politique espagnole refuse de demander formellement l’aide de l’Europe, mais ses banques ont reçu des dizaines de milliards d’euros «?d’aides?» via le MES/BCE…

Le Portugal, malgré une population travailleuse et civique, n’a pas échappé à la crise de ses voisins. Sa productivité est trop faible par rapport à la force actuelle de l’euro.

Le triangle Berlin-Washington-Pékin
Cette crise en Europe du Sud a conduit à rebattre les cartes au niveau stratégique.

Berlin est devenu la vraie capitale de l’Europe?: la crise a placé l’Allemagne au centre du dispositif européen.
L’Allemagne a dopé sa compétitivité globale depuis dix ans en grande partie sur le dos des autres pays européens. Il y a une face sombre du «?miracle allemand?» pour une dizaine de millions d’Allemands pauvres et d’immigrés. L’Allemagne, en échange de concessions aux pays d’Europe du Sud et sur la politique de la BCE, a exigé le maintien d’un euro fort qui lui va bien et qui affaiblit ses concurrents.
En outre, sur le plan politique, si l’Allemagne ne veut pas oublier son passé nazi elle cherche à passer à l’étape suivante («?après la repentance?»).
L’Allemagne européenne de la fin du xxe?siècle n’est plus de mise?: l’Allemagne s’est préparée à une mondialisation à outrance dont l’Europe n’est plus qu’un acteur en déclin.

Les États-Unis (ou plutôt l’avidité des financiers américains tout-puissants à Washington) ont été la cause première de la crise. Malgré cela, ils n’ont encouru aucune critique et le reste du monde continue à les financer.
L’Europe a toujours été un «?allié?» docile qui s’est désarmé unilatéralement (pas de politique industrielle, destruction de la sidérurgie européenne bénie par Monsieur Prodi, démantèlement de Péchiney dû à Monsieur Monti…). Ce dernier a reçu un soutien appuyé de John Kerry lors de son passage en Europe.

Pékin est de plus en plus présent en Europe car nous constituons un débouché majeur de leurs exportations. Pékin ne souhaite pas d’effondrement de l’Europe qui tarirait un débouché et qui pourrait générer des mesures protectionnistes.
Pékin soutiendra un peu l’Europe (notamment des achats de dette souveraine) tant que la Chine en aura besoin pour exporter.
La Chine est le seul pays en capacité d’accroître les ressources du FMI.

Quelques lueurs d’espoir
Les problèmes de certaines zones pourraient laisser un répit à l’Europe?:
– l’abus de crédit en Chine pourrait conduire à l’explosion de bulles (immobilier, entreprises d’état, …). Il faut des injonctions massives de crédit (3?$) pour générer 1?$ de PIB?;
– malgré un fort déficit fiscal et la politique de la FED, les États-Unis ne repartent que mollement. Ils ont dépensé de très fortes sommes pour sauver leurs banques.

Le blocage politique actuel pourrait avoir un impact négatif sur la croissance.

L’Europe peut aussi progresser dans sa compréhension des solutions nécessaires?:
– évolution du partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés?;
– mise en place d’une vraie politique monétaire par la BCE et gestion du taux de change pour essayer de sortir du cercle vicieux actuel. La renationalisation des dettes publiques (les dettes publiques en Europe du Sud sont souscrites par des banques nationales qui utilisent l’argent prêté par la BCE) empêche toute évolution qui anéantirait le système bancaire.

Quelques conclusions
L’Europe a subi plus que les autres les conséquences d’une crise financière importée des États-Unis.
Cette situation provient :
– d’un terreau propice (idéologie voire incompétence des fonctionnaires et dirigeants européens, crise immobilière dans certains pays…)?;
– d’une volonté de l’Allemagne de dominer l’Europe pour être en situation d’affronter la mondialisation.

Les remèdes à cette situation seront difficiles à mettre en œuvre (évolution de la politique monétaire et niveau de l’euro, politique industrielle, protection du marché européen, évolution des salaires), car ils heurtent des intérêts puissants.
Les élections nationales ou européennes servent actuellement plus de soupape pour les peuples que de temps forts démocratiques permettant aux peuples d’élaborer des politiques alternatives. ?

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