Réuni pour l’occasion au Carreau du Temple, le Cercle Condorcet de Paris à fêté ses 30 ans devant un parterre de membres et d’amis aussi chaleureux qu’attentifs.
Fidèle à sa tradition, cet anniversaire a pris, ce jour là, la forme de deux réunions plénières : – une première, animée par Michel Cabirol avec Jean-Pierre Pagé et Bernard Wolfer sur le thème « Le Cercle Condorcet de Paris, 30 ans d’histoire : pensée, débats et actions – au delà des enjeux partisans ?» puis une seconde, consacrée à l’Europe, animée par Bernard Wolfer avec Jean-Michel Ducomte, Guillaume Duval, Jean Quatremer et Denis Macshane.
C’est donc tout d’abord l’histoire du Cercle Condorcet de Paris qui a été retracée, depuis sa fondation à l’initiative de la Ligue de l’Enseignement, avec pour pères fondateurs, Michel Morineau et Claude Julien, jusqu’à nos jours.
Si les questions de la laïcité et de l’école ont marqué les débuts, bien d’autres questions de société, de pensée aussi, ont jalonné son développement. Celles-ci ont été décrites dans une brochure1 publiée à cette occasion. On y trouve par ailleurs la liste des membres fondateurs, et les références de la plupart des publications du Cercle.
Nous avons tenté ainsi, au cours de cette plénière de faire une sorte de bilan de ces trente ans, du rôle que le Cercle a pu jouer pour ses membres mais aussi sur les scènes publiques. Les exposés et le débat sont à disposition sur le site. Ils témoignent certes de la vitalité du Cercle, mais aussi des changements que nécessitent désormais les modes de pensée, de travail et de publicisation. Ce qui demeure, sans doute, c’est l’utilité de débats ouverts, controversés et ce sans qu’ils soient conclusifs (Philippe Lazar). Les propositions qui découlent de nos travaux sont offertes au débat : ceci est la clé de notre identité. Nous ne sommes pas un groupe de pouvoir, d’influence, au sens coutumier, mais plutôt un catalyseur de pensée, voire un lieu de transmission. C’est ce qui nous place plutôt dans une catégorie de laboratoire d’idées, l’action et ses enjeux restant de l’initiative de chacun.
Le Cercle Condorcet de Paris n’est pas seul. De nombreux cercles Condorcet ont été créés, en province, mais aussi parfois à l’étranger. S’ils ont des ressemblances avec celui de Paris, les circonstances locales, ou historiques, de leur création leur donnent aussi des contours particuliers où l’action, notamment pour défendre la laïcité, est souvent présente. Les conversations avec ces Cercles ont montré la richesse de cette diversité et à tout le moins, la nécessité, partout, de créer des lieux de réflexion et de débats citoyens. Ce qui n’est pas acquis, c’est de pouvoir y accueillir une réelle diversité de citoyens, d’âges, de conditions, d’origines. Le second débat² a été consacré à l’Europe : L’Europe est-elle encore l’horizon de nos nations ? Aller de l’union à la désunion est-il inéluctable ? Animé par Bernard Wolfer, il a réuni Jean-Michel Ducomte, Guillaume Duval, Jean Quatremer et Denis Macshane.
L’Europe est depuis longtemps un sujet de réflexion et de travaux privilégié du Cercle Condorcet de Paris. Autant nous avons souvent émis des propositions qui marquaient notre espoir d’une Europe plus démocratique, plus solidaire, autant la période récente a pu faire place aux doutes : le Brexit, les tendances aux replis nationalistes et au populisme dans plusieurs pays, manifestent un certain rejet de l’idée européenne et de la capacité de cette union à offrir des lendemains meilleurs aux 510 millions de citoyens de cet ensemble unique au monde. Pendant longtemps, nous avons cru que les crises traversées obligeraient les gouvernements à trouver des solutions qui permettraient de dépasser les clivages et les égoïsmes nationaux. Mais la nouveauté réelle provient de la tentation pour certains de quitter l’Europe : le Royaume-Uni vient d’en décider ainsi. Conçue comme un espace de paix et de prospérité, l’Union Européenne (UE) pourrait-elle disparaître ? Au cours de ce débat, les différents intervenants ont exprimé leurs analyses de l’évolution de l’UE, de ses forces et de ses faiblesses. S’ils s’accordent pour dire le formidable progrès, social, économique et politique que constitue l’UE, ils voient dans les évolutions récentes l’issue de faiblesses rémanentes de sa construction. Pour Denis Macsshane, ancien ministre britannique des affaires européennes, le gouvernement Cameron a eu tort de soumettre à référendum le Brexit : le référendum est une machine à coaliser les mécontentements. Il est convaincu que le Royaume-Uni va souffrir de cette rupture, tout comme, pour d’autres raisons, le reste de l’UE. Il témoigne à haute voix que chaque pays de l’UE est plus fort en qualité de partie de l’UE que comme nation particulière.
Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, fait porter une large part des torts à la Grande Bretagne, nation trop idéologique à son goût, et estime que son départ peut aider l’UE à se relancer autour de projets communs, ce que refusait le plus souvent le Royaume-Uni. Première puissance économique du monde, l’UE manque certes d’une puissance politique affirmée, mais cette dernière devient possible, dans ce monde où les leaders traditionnels s’effritent et où les nouveaux cherchent leurs marques. Il dépend encore de l’Allemagne et de la France de proposer une direction à l’Europe, si les égoïsmes nationaux trouvent des issues positives dans des politiques européennes. Mais il croit encore nécessaires les décisions prises par le haut.
Jean-Michel Ducomte estime qu’il devient de plus en plus nécessaire de remplacer la construction technocratique originelle de l’Union par davantage de démocratie. Les peuples européens ne se reconnaissent plus dans le projet européen qui paraît s’éloigner de leurs aspirations, sociales et économiques.
Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques, estime que l’UE s’est éloignée de ses objectifs initiaux en se soumettant à l’ordo libéralisme allemand. Certes la crise de 2008 a été jugulée par la mise en place de mécanismes budgétaires et monétaires européens efficients, mais l’essentiel du résultat va vers l’Allemagne avec son très important excédent. L’Europe est déséquilibrée. De plus les excédents européens ne sont pas transformés en investissements européens, retardant d’autant une relance économique et environnementale, pourtant nécessaire. Le débat, d’abord entre les intervenants puis avec la salle, approfondissant les convergences mais aussi les controverses, a montré qu’il restait, malgré tout, bien des voies de progression pour l’Europe. Elles mériteraient d’être toujours débattues.