Le développement de l’humanité et le développement des activités maritimes sont étroitement corrélés. Mon objectif est de vous sensibiliser à l’importance des espaces maritimes, que ce soit pour notre sécurité, notre mode de vie ou notre développement.
Une grande partie des avatars historiques qu’a connus la France peut s’expliquer par le peu d’intérêt des Français pour les « choses de la mer ». Fernand Braudel notait d’ailleurs “l’hésitation dramatique de la France entre la terre et la mer, sans fin résolue du mauvais côté”. Je me suis souvent interrogé sur les causes de ce relatif désintérêt : Y a-t-il un certain déterminisme ? Michelet écrivait en effet : «La mer est anglaise d’inclinaison, elle n’aime pas la France, elle brise nos vaisseaux, elle ensable nos ports”. Il y a du vrai bien sûr, mais c’est un peu court comme justification : je pense que si la France n’a pas bien réussi en mer, c’est parce qu’elle ne s’y est pas suffisamment investie.
Je vous propose de me pencher sur quatre des principales caractéristiques des espaces Océaniques :
– Les richesses que procurent ces espaces ;
– Les voies de communication qu’ils constituent ;
– Les menaces qui y prennent source ;
– L’angle militaire.
1- La mer, source de richesses
Mers et océans couvrent 71% de la surface du globe. Ils jouent un rôle primordial dans les échanges atmosphériques et le climat. En emmagasinant la chaleur, ils amortissent les grands écarts de température, adoucissent les climats, assurent des précipitations relativement régulières dans les régions littorales, rendant les températures modérées et le climat humide, deux caractéristiques propices à l’Homme. Les mers rendent bien d’autres services écologiques comme la production d’oxygène – 70% de l’oxygène serait produit par le phytoplancton. On estime aussi que 14% des espèces actuellement recensées vivent dans les océans. Mais cet espace est encore très mal connu, car on estime ne connaître que 10 à 20 % de la faune sous-marine.
Mais l’Homme n’a pas de branchies, et ces espaces ne lui sont pas favorables. Toutefois, il peut y trouver une partie de ce dont il a besoin. Les mers, les océans, regorgent, même si le mot est un peu fort, de richesses, sous exploitées pour certaines, surexploitées largement pour d’autres. Ainsi, un quart des protéines d’origine animale consommée par les hommes serait produit par les mers et les océans. Il faut aussi citer les hydrocarbures « off shore » qui représentent actuellement 1/3 de la production mondiale, une proportion qui ne cesse d’augmenter en raison de l’épuisement progressif des ressources à terre et de la très importante exploration « off shore » en cours. Dans dix ans, 40% des hydrocarbures viendront de la mer.
Cela concerne la France qui possède un très grand domaine maritime, le deuxième du monde. Toutefois ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que la France tire assez peu de profit de son domaine maritime : un peu de poissons, et encore pas assez puisqu’elle en importe, et pas une goutte de pétrole.
Le document de lancement du récent « Grenelle de la Mer » précise d’ailleurs : « La mer peut apporter, pour peu que l’on en prenne soin, les solutions durables pour l’avenir : réponses aux défis alimentaires et énergétiques, aux besoins des transports et du commerce, aux équilibres climatiques et géopolitiques de la Planète ».
2 – La mer, espace de communication:
Cette deuxième caractéristique de la mer, la mer qui relie et non qui sépare est peut-être la plus intéressante. Ceci découle de différents aspects :
2.1 La superficie
La mer nous rend limitrophes de la plupart – 80% – des pays du monde et notamment des plus développés. Les trois quarts des pays sans accès à la mer appartiennent en effet au dernier tiers des pays classés selon leur richesse.
2.2 Liberté de circulation
Il n’y a pas de frontières politiques : à quelques exceptions près, il n’y a pas besoin d’accord politique pour pouvoir utiliser la voie maritime. Il n’y a pas non plus de coupure physique, hormis les côtes bien sûr.
2.3 Capacité de transport
Les Océans permettent l’acheminement à moindre coût des charges lourdes, avec un relativement faible impact écologique et somme toute assez vite.
Tout d’abord, le transport maritime est beaucoup plus économe en combustible que les autres moyens de transport. A la tonne/km, il est deux fois plus économe que le rail, dix fois plus que la route, trente à cinquante fois plus que l’avion. Il est aussi le moins polluant car la production de CO2 est en rapport de la consommation en carburant.
Le transport maritime est aussi le plus rapide dès que la distance est grande et la charge importante. Ainsi transporter 40 000 tonnes de la métropole à La Réunion prend moins d’une vingtaine de jours avec un petit porte-conteneur, quatre mois au moyen de rotations d’une dizaine d’avions gros porteur type B 747 ou A 380 et plus d’un an si on utilisait une dizaine d’avions militaires tel le futur type A 400 M.
J’ajoute que le petit porte-conteneurs de mon exemple coûte à l’achat et au fonctionnement moins qu’un seul des avions envisagés.
Au bilan, transporter un conteneur de Singapour au Havre coûte moins cher que de l’acheminer du Havre à Paris.
Toutes ces qualités font du transport maritime un élément essentiel des échanges internationaux. En 2007, 7,7 milliards de tonnes ont été transportés par mer. Le rail et la route et a fortiori l’air sont incapables de supporter un trafic de 7,7 milliards de tonnes. Si bien que 90% des échanges internationaux utilisent les océans. Et la fameuse globalisation en renforce l’importance.
2.4 Le trafic maritime :
Chaque année, 100 000 navires transitent en Manche, et 700 à 800 navires y compris les traversiers et les pêcheurs empruntent chaque jour le Pas de Calais. Tout ceci pose des risques environnementaux considérables. Les États se doivent de prévenir les accidents maritimes et le cas échéant, d’y faire face.
2.5 Et la France ?
Notre pays jouit d’une position maritime privilégiée, avec accès à la mer du Nord, la Manche, l’Atlantique et la Méditerranée, et aux océans Pacifique et Indien grâce aux départements et territoires d’Outre-mer. Pourtant, la France a relativement peu investi dans ses capacités maritimes. Ainsi les ports du Benelux sont davantage utilisés pour approvisionner Paris ou Lyon que ne le sont le Havre ou Marseille. Pour autant, les activités maritimes sont importantes en France sans que les Français en aient conscience : 300 000 emplois directs, le double en indirects, soit 2% du PIB.
La France possède 5500 kilomètres de côtes métropolitaines – 7000 avec les DOM-TOM – 11 millions de km2 de superficie maritime soit 22 fois la surface de la France métropolitaine.
D’une certaine façon, la France n’a jamais été aussi vaste que depuis la création des Zones Exclusives Economiques (limite de 200 milles nautiques au delà des rivages soit 360 km). La France doit exercer un certain contrôle dans ces zones.
3 – La mer, une source de menaces.
Toutes les facilités dont je viens de parler peuvent aussi profiter à l’adversaire, que ce soit un état ennemi – c’est la situation historique de compétition maritime – mais aussi à de nombreux acteurs non-étatiques qui usent de cette liberté pour mener des activités de toutes sortes. La faible régulation du commerce maritime, comparée aux transports aériens et terrestres ont permis le développement de nombreuses activités illicites.
La plus connue, c’est la piraterie, avec sa recrudescence : Malacca, Golfe d’Aden, au large de la Somalie, sans oublier le Golfe de Guinée qui sera peut-être la prochaine zone de crise. Les attaques ont triplé entre 2007 et 2008. Ces activités menacent le commerce international. Pour les combattre, il faut être sur zone. Mais la piraterie ne peut être vaincue qu’en agissant sur les causes terrestres, bien entendu.
La Mer des Caraïbes voit passer plusieurs centaines de tonnes de cocaïne chaque année, dont environ 500 tonnes traversent l’Atlantique vers l’Europe, dont encore 80%, soit 400 tonnes par voie de mer, via l’Afrique ou directement vers l’Europe. De même, le cannabis qui provient quasi essentiellement du Maroc, traverse la Méditerranée vers l’Espagne, puis gagne la France et le reste de l’Europe. Les trafiquants utilisent aux Antilles et en Méditerranée des navires extrêmement rapides, les “go-Fast” qui traversent en quelques heures.
Les armes dites de destruction massive et les missiles – ou plutôt des éléments qui permettent de les fabriquer – utilisent très souvent la voie de mer. Ainsi par exemple, il ne s’écoule pas de trimestre, voire de mois sans que l’on ne trouve des éléments de missiles ou de centrifugeuse nucléaire dans un conteneur.
Il faut aussi citer l’apparition, encore limitée, d’actions terroristes : depuis cinq ans, le monde a connu une dizaine d’attentats terroristes maritimes.
Toutes ces activités illégales doivent être combattues, et pas seulement dans nos eaux littorales. En effet, il ne faut pas se trouver en situation de “gardien de but”, car il serait alors trop tard, mais au contraire se rapprocher du point de départ, de la source de la menace.
4 – Aspect militaire.
En raison des facilités de développement procurées par le voisinage des mers, nous assistons à une sorte de “littoralisation” de la population mondiale. Ainsi 70% de l’humanité vit à moins de 100km de la mer, 80% à moins de 500km. La plupart des régions développées, des centres économiques, des centres de pouvoir, sont situés à proximité de la mer. Sur les 25 plus grandes mégalopoles mondiales, 23 sont des ports ou sont voisines de la mer. Cette situation a une conséquence d’ordre militaire car elle met les “centres de pouvoir” à portée de moyens opérant en mer.
La mer, espace libre, est aussi un espace naturel de déploiement des moyens militaires qui peuvent y stationner et y agir sans contrainte.
De plus, l’utilisation de la voie maritime est indispensable pour conduire une opération d’une certaine ampleur hors d’Europe. De telles opérations impliquent en effet le transport d’énormes quantités de moyens militaires. Pour l’opération Daguet (Guerre du Golfe 1991), le déploiement de 10 000 hommes a nécessité le transport de 80 000 tonnes de matériel, soit selon mon exemple de tout à l’heure la cargaison de deux petits porte-conteneurs, ou encore dix années complètes d’utilisation de dix A 400 M. Il n’y a pas d’opération militaire à quelque distance du territoire national sans utilisation de transport maritime, donc de maîtrise de la Mer. Isaac de Razilly, un marin proche de Richelieu, disait déjà :« Quiconque est maître de la Mer a par cela même un grand pouvoir sur la Terre »
La France n’est l’objet d’aucune menace aux frontières, c’est la première fois dans l’histoire de notre pays. Mais le monde n’est pas plus sûr, il est maintenant nécessaire de prévenir les crises, d’empêcher qu’elles ne dégénèrent et ne se transforment en menaces directes, pour nous ou pour d’autres, plus faibles.
Jusqu’alors, la France a privilégié une défense statique du territoire national que par exemple Vauban a ceinturé de forteresses. Pendant la guerre froide, nous avons entassé des forces vers l’Est. Tout ceci traduit une conception passive de la défense. Or, la stratégie et l’Histoire enseignent qu’une défense est mieux assurée avec l’adoption d’un dispositif mobile, qui agit dans la profondeur, autant que possible au plus près des menaces potentielles.
L’utilisation des moyens maritimes est alors précieuse, et, le plus souvent, indispensable. L’absence de menaces aux frontières fait de la France une sorte « d’île », et pour la première fois de notre histoire, nous avons l’opportunité d’abandonner les dispositifs de défense statique, les lignes Maginot dont nous sommes coutumiers. Dans ce contexte, la mer offre la profondeur stratégique pour observer les risques annonciateurs de crises, dissuader et prévenir leurs dégradations, enfin participer et soutenir des opérations menées à terre.
La Chine poursuit à vitesse moyenne, mais régulière, un effort pour se doter d’une marine de haute mer à vocation mondiale. Elle transforme une flotte nombreuse mais désuète, en un outil moderne et hauturier, capable d’agir en haute mer. C’est déjà la troisième marine mondiale, trois fois plus importante que la marine française. Elle possède par exemple une cinquantaine de sous-marins modernes. Dorénavant elle se déploie loin de ses bases, ce qu’elle n’avait pas fait depuis six siècles, c’est une rupture politique forte. Il n’y avait pas eu de bâtiments chinois dans l’océan Indien depuis six siècles, il y en a trois depuis plusieurs mois.
L’Inde produit un effort comparable, ce qui n’est sans doute pas sans relation avec la montée en puissance chinoise. Elle a entrepris un vaste programme de renouvellement de sa flotte : elle construit un porte-avions de 40 000 tonnes, elle va louer des sous-marins nucléaires russes et construit des sous-marins nucléaires autochtone.
La Russie a retrouvé le chemin de la mer, ses sous-marins naviguent davantage, le porte-avions Kuznetzov a passé l’hiver dernier en Méditerranée pour entraîner ses pilotes. La marine russe vient d’annoncer la construction d’un porte-avions de 60 000 tonnes.
Le Brésil, qui met en oeuvre l’ancien porte-avions Foch, vient de passer un contrat pour la fabrication de quatre sous-marins de conception française et l’aide pour la construction d’un sous-marin nucléaire d’attaque.
Il y a d’autres exemples, mais ce que je veux montrer, c’est que si aujourd’hui, il n’y a pas de compétition pour la maîtrise de la mer, comme pendant les deux guerres mondiales ou la guerre froide, cette éventualité ne doit pas être écartée à l’échéance de dix, vingt ou trente ans !
5 – Conclusion.
Rappel de quelques chiffres-clés :
– Mers et océans couvrent 70% de la surface de notre planète.
– 90% des échanges commerciaux se font par voie maritime qui constitue donc un réseau vital .
– Les principaux centres de l’activité humaine sont situés à proximité d’un littoral. Plus de70% de l’humanité vit à moins de 100 km de la mer.
Tout ceci fait le socle de la puissance du fait maritime.
Les espaces maritimes demeurent en effet les enjeux majeurs du siècle qui débute. Il n’est pas un de nos grands partenaires mondiaux – USA, Brésil, Inde, Royaume-Uni, Russie, Chine… qui ne développe une grande politique maritime.
Pour continuer à compter, la France doit investir dans les moyens maritimes. Cet investissement est nécessaire pour notre économie, notre sécurité et notre défense. La France doit se doter, ce qu’elle n’a pas fait depuis des lustres, d’une politique maritime. Je place beaucoup d’espoir dans le Grenelle de la Mer dont j’espère qu’il aboutira à l’élaboration d’une vraie politique maritime. « Les avantages géographiques de notre pays qui dispose du deuxième espace maritime du monde, ainsi que nos savoir-faire navals et maritimes donnent à la France une responsabilité majeure dans l’avenir des océans. »