L’immigration : enjeux de la nouvelle Loi

Patrick Weil a travaillé dans le cadre du Secrétariat d’Etat aux Immigrés (1981) ; il est actuellement directeur de recherche au CNRS, et, notamment, l’auteur de « La République française et sa diversité ». Il présente ici un tableau des politiques françaises sur l’immigration au cours des trente dernières années. Cette approche permet de situer l’actuel projet de loi en passe d’être voté et d’avancer des propositions en cas d’une victoire de la Gauche en 2007

Patrick Weil rappelle tout d’abord que l’une des originalités de la France est sa longue expérience en matière de gestion des flux migratoires et en matière d’intégration. Jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, elle est le seul pays européen d’immigration. Elle sera ensuite rejointe par les pays d’Europe du Nord. Actuellement, tous les anciens membres de l’Union à 15 sont devenus des pays d’immigration.

Retour historique
* L’ordonnance de 1945 est un compromis entre plusieurs options : elle affiche
la France comme pays qui veut l’immigration ; une immigration de
travailleurs d’abord, rejoints ensuite par leurs familles.
• Un peu plus tard, la Convention de Genève garantit le « Droit d’asile » aux personnes persécutées et pouvant le prouver. Ce qui n’avait pas été organisé et prévu, c’est l’impact qu’a eu, sur la politique migratoire, l’immigration en provenance des anciennes colonies et en particulier de l’Algérie. La citoyenneté française est accordée aux migrants d’Algérie en 1946-47, ce qui provoque la libéralisation des flux d’immigrés en provenance de ce pays, alors que, à la même époque, l’immigration en provenance d’Italie est soumise au filtrage de l’Office National de l’Immigration.
• En 1956 (début de la Guerre d’Algérie), un système de régularisation permanente est instauré ; il vise à freiner l’arrivée des Algériens, au bénéfice de l’accueil des Européens.
• 1962 : les Accords d’Evian contiennent une clause favorable à la libre circulation des Algériens (en fait, le dispositif visait à l’origine la libre circulation des Pieds-Noirs dont on pensait qu’ils resteraient en Algérie, et l’Algérie avait obtenu en échange la libre circulation pour ses ressortissants). On n’a de cesse ensuite de favoriser l’immigration venue d’Europe, Portugal, notamment, mais aussi Tunisie et Maroc.
• C’est au cours de la période 1973-74 que tout va changer. L’Algérie interrompt les flux d’émigration en septembre 1973. Ensuite, la France – dans la foulée de l’Allemagne et des Pays-Bas – stoppe l’immigration de travailleurs, d’abord temporairement, puis définitivement. À ce moment commence une période qui se prolonge aujourd’hui, c’est à dire une période de contrôle ferme des flux migratoires. Nous sommes le seul pays à envisager le retour volontaire, voire forcé, de l’immigration Nord-Africaine (surtout algérienne). C’est le projet de Mr Giscard d’Estaing à l’époque. Ce dernier crée « l’aide au retour ». Cette disposition ne produisant pas les effets souhaités, on utilisera la contrainte : suppression de la validité des titres de séjour pour la majorité des ressortissants algériens sur le sol français. Cette politique d’extrême droite sera un échec ; elle aura cours jusqu’à la fin des années 70 (79/80).
• En 1981, la Gauche au pouvoir procède à une régularisation massive.
• En 1984, un accord se fait entre la Gauche et la Droite : les personnes qui sont en situation régulière (arrivées avant 1974) pourront rester avec l’octroi d’un titre unique pour 10 ans, indépendamment de leur origine.
• S’ouvre une deuxième période qui va de 1984 à 1999. D’abord, en 1984, une sorte de transfert d’agenda s’opère : ceux qui s’étaient battus pour le retour des algériens se battent pour les empêcher d’accéder à la nationalité française. Un débat s’instaure qui va durer jusqu’en 1998 : remise en cause du droit du sol, projet de loi du gouvernement Chirac en ce sens en 1986 qui est retiré à la suite de la mort de Malik Oussekine et provoque la création d’une Commission de sages présidée par Marceau Long. Un rapport est rendu qui va apaiser la Droite et servir de base à la loi de 1993 : les enfants nés en France de parents étrangers sont tenus de déclarer leur nationalité française entre 16 et 21 ans. Cette mesure va être très vivement contestée par les jeunes dans cette situation. Parallèlement à cette politique restrictive de la nationalité, un vif débat s’engage entre la Droite et la Gauche sur les nouveaux flux d’immigration. C’est à cette époque que Charles Pasqua affiche officiellement l’objectif de « l’immigration zéro ». Dès lors, il reste légalement trois voies d’immigration : le droit d’asile (la Convention de Genève), le droit à une vie familiale normale (garantie par la Constitution, la Convention européenne des Droits de l’Homme et la jurisprudence du Conseil d’État), et une dernière voie : l’immigration de travailleurs qui peut être stoppée, à la différence des deux autres. Charles Pasqua va donc tenter de freiner l’application de la Loi (droit d’asile, regroupement familial), en restreignant notamment l’octroi des visas pour les visiteurs étrangers.
• En 1997, Lionel Jospin met en place une mission sur « la politique de l’immigration », fondée sur trois principes :
– l’application de la Loi dans les faits, soit, le droit d’asile,
– le droit à une vie familiale normale,
– la réouverture de l’immigration pour des travailleurs qualifiés, accompagnée d’un dispositif de régularisation permanente qui s’inspire d’un mécanisme utilisé en matière pénale : le mécanisme de la prescription (chaque français est tenu de déclarer ses revenus ; tous ne le font pas, d’où l’existence du contrôle fiscal. Toutefois, ce contrôle ne peut s’exercer au-delà d’une certaine durée). Ce principe a donc été étendu à l’immigration : après 10 années de séjour, l’immigrant obtient la carte de séjour et bénéficie des avantages sociaux. Le projet de loi est alors adopté
• En 1999, Alain Juppé (in Le Monde) reconnaît les erreurs de la Droite en la matière. Il juge aussi « plutôt positive » la Loi de 1998 et relève que le vrai problème (sur lequel il attaque la Gauche), est celui de l’intégration ; il trouve que la Gauche ne fait pas assez dans ce domaine. Le gouvernement Jospin ne portera toutefois pas attention à cette critique fondée.
• Quand la Droite revient au pouvoir, la Loi Sarkozy N°1, s’inscrit dans le même cadre que la Loi mise en place par la Gauche en 1998 : maintien des mécanismes d’entrée sur le territoire, maintien du mécanisme de régularisation permanente. Ce qui fait d’ailleurs que, si l’on regarde les chiffres de l’immigration légale aujourd’hui, celle-ci a été, sous l’égide de Nicolas Sarkozy, supérieure de 30% à ce qu’elle était sous la Gauche, mais l’immigration de travailleurs a été inférieure. C’est une des raisons pour lesquelles N. Sarkozy a élaboré une nouvelle loi, car ce résultat n’était pas recevable pour un électorat de droite, voire d’extrême droite. Les chiffres sont clairs : le nombre de permis de séjours non-européens est passé de 103 000 à 132 000 entre 2001 et 2004, bien que le nombre de permis accordés à des travailleurs ait baissé d’environ 8000.
D’où la volonté d’une nouvelle loi dont les résultats sont d’ores et déjà
visibles avec la mobilisation des réseaux d’établissements scolaires : réduction
drastique des mécanismes de régularisations individuelles, suppression de la
régularisation après 10 ans, et réduction des régularisations pour
regroupement familial.
Par souci de dissuader les mariages frauduleux, cette loi porte atteinte à la vie
des couples mixtes : pas de carte permanente pour le conjoint d’un(e)
français(e) avant trois ans, l’obtention n’en étant pas garantie.
Pour ce qui est du regroupement familial – déjà très encadré (25 000/an,
enfants compris), la loi veut encore le réduire en en durcissant les conditions : allongement des délais, logements rares et précaires, obligation pour le demandeur de parler le français pour pouvoir vivre en famille.
L’affichage : celui de l’immigration « choisie » par rapport à l’immigration
« subie », est mal venu. L’immigration choisie, ce serait celle des
travailleurs qualifiés, moins nombreux à être entrés sous la Droite que sous la
Gauche (voir plus haut). En fait, il n’était pas nécessaire de promulguer
une loi pour faire venir des travailleurs qualifiés, des instructions
ministérielles auraient suffit …
Lesdites instructions existent d’ailleurs, mais elles ne sont pas
appliquées dans les services… véritable « usine à gaz » prévoyant
cinq ou six statuts différents. De surcroît, cet affichage présente cette
immigration de travailleurs qualifiés comme plus intéressante pour notre pays
que l’« autre » immigration (celle des réfugiés et des familles), considérée . comme une « immigration subie ». Historiquement pourtant , la France a fait
le choix de respecter le droit d’asile et le droit de vivre en famille. En outre, ce
choix dépasse les individus, c’est un choix « constitutionnel ». Mais ce
discours électoraliste, qui est un discours de dévalorisation et d’insulte pour
beaucoup de familles immigrées, a un énorme impact.

Quelle alternative ? Quelle est la question posée à la Gauche ?

Au sein du PS, mais aussi à droite, le débat a porté sur les quotas (mesure inconstitutionnelle). C’est la plus mauvaise des politiques pour les travailleurs. Les quotas ne sont jamais atteints pour les travailleurs qualifiés et toujours dépassés pour les non qualifiés (l’exemple de l’Italie est patent, ceux des USA et de l’Espagne également). Tous les pays qui pratiquent cette politique connaissent une explosion de l’immigration illégale. Le gouvernement semble abandonner ce système et la Gauche également. Il n’est pas inclus dans le projet socialiste.
Le second sujet évoqué est celui de la régularisation. Qu’elle soit exceptionnelle ou massive, la régularisation ne saurait constituer une politique. Elle témoigne plutôt de l’échec d’une politique. Peut-être qu’elle s’avèrera nécessaire si la Loi Sarkozy entraîne des blocages mais, comme les dévaluations, on ne l’annonce pas à l’avance, on la fait !
Une autre question a été évoquée avec une certaine ambiguïté à gauche, c’est l’immigration de l’élite. Ne s’agit-il pas d’une ponction indue sur les forces vives déjà restreintes d’un pays ? Mieux vaut ne pas être hypocrite. Nous ne sommes pas le seul pays au monde à conduire une politique d’immigration. Ce n’est pas parce que nous refuserions de recruter des travailleurs qualifiés d’Afrique qu’on sauverait l’Afrique puisqu’ils iraient en Angleterre, au Canada ou aux État-Unis se faire recruter. Ils seraient à la fois perdus pour la France et pour leur pays. On doit imaginer une autre approche que le « brain-drain », c’est à dire la captation des cerveaux sans retour.

Quelques propositions

L’intervenant expose alors un dispositif novateur : le droit à l’aller-retour.
Il s’agit d’une autre approche. Les individus qui ont une formation sont sur un marché international à l’intérieur duquel ils ont le droit de circuler ; ils doivent avoir le même droit qu’ils soient Africains, Européens ou Américains. Par expérience, Patrick Weil pense que nombre d’africains sont animés du désir de ré-investir dans leur pays une expertise acquise dans un pays occidental. Or, actuellement, les réglementations sont des obstacles difficiles à surmonter. Le risque de refus de visas, les difficultés de circulation, sont fréquents. Ce qu’il propose serait d’établir une législation reconnue au niveau européen, ouvrant droit à la délivrance d’un visa permanent pour les étudiants et/ou diplômés venant prioritairement des pays du Sud. Ces derniers auraient ainsi l’assurance de pouvoir circuler sans tracasseries administratives. Par exemple, un Africain recruté (à l’hôpital, à l’université, …) aurait la possibilité de faire une partie de son service professionnel dans son pays d’origine (payé par la France ou l’Union européenne), au titre de la coopération, afin de contribuer ensuite à la formation de l’élite de son pays, sur place. Il deviendrait ainsi un agent de co-développement. Ce système d’aller-retour pourrait être décliné pour d’autres professions, comme les saisonniers (signalons à cet égard un bon point dans la Loi Sarkozy qui leur reconnaît des titres de séjour pour trois ans mais il faudrait étendre ce droit à cinq ans). Ainsi, ce droit au retour leur permettrait de faire des plans d’avenir. Le système qui veut que l’on renouvelle annuellement et pendant des années l’autorisation de séjour amène des surcharges pour l’administration et entraîne aussi beaucoup de problèmes pour les immigrés eux-mêmes. Il serait souhaitable de passer vite à des cartes de validité plus longue (cinq ou dix ans).
Mais tout ceci ne peut s’envisager sans une réforme profonde des administrations concernées. Celles-ci ont pris de très mauvaises habitudes (cf. le « non » quasi systématique, décrété actuellement par les consulats, préfectures, notamment), souvent par manque de formation et/ou par ignorance des textes…. Il s’agirait de créer une administration compétente, bien payée et respectée (car respectable), et de veiller à ne pas alourdir encore les réformes administratives.
Tout un programme en perspective !

Synthèse par Françoise Le Berre et Geneviève Petiot

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