Plénière du 3 mai 2011

par Farouk Mardam-Bey
Historien syrien, directeur de la collection Sindbad chez Actes Sud
et conseiller culturel à l’Institut du monde arabe

POUR COMPRENDRE l’évolution variée des différents pays du monde arabe, quelques points de repères sur leur histoire contemporaine sont très éclairants.

Les années 1950-1960

La décolonisation du monde arabe s’est réalisée des années 1920 au début des années 1960. Les premiers régimes (royautés, émirats, républiques) ont souvent été instables.
Le premier bouleversement provient du coup d’État d’officiers égyptiens qui aboutira en 1954 à la prise du pouvoir par Nasser. Ce régime, même s’il est autoritaire, est nationaliste et progressiste.
Malgré les attaques internes et externes, il réussit à s’imposer comme modèle pour de nombreux jeunes Arabes.
Ceci a entraîné une partition du monde arabe entre ce type de régimes et des régimes plus conservateurs (monarchies du Golfe par exemple) ; entre ceux qui se présentaient comme de bons musulmans et ceux qui seraient des nationalistes athées.
Un coup d’État avorté d’inspiration nassérienne au Yémen a conduit à une quasi-guerre froide au sein du monde arabe entre l’Égypte et l’Arabie Saoudite.

Le Maghreb connaîtra aussi des évolutions politiques divergentes entre le Maroc, la Tunisie et l’Algérie.

La guerre israélo-arabe des Six-Jours (1967)

La guerre israélo-arabe de juin 1967 marque un second tournant. Cette lourde défaite du monde arabe entraînera deux conséquences majeures :
• La focalisation sur la résistance palestinienne qui fut aussi un ferment de révolution progressiste. Malgré, ou à cause de cela, elle sera attaquée brutalement à plusieurs reprises (Jordanie 1970, Liban 1982, Tripoli 1983).
Ceci a conduit les Palestiniens à se replier sur eux-mêmes.

• Plusieurs coups d’État renversent les dictatures précédentes :
– Irak en 1968,
– Libye et Soudan en 1969.

Ces nouveaux régimes très durs (car souvent très minoritaires) se sont installés pour durer et ont délaissé l’aspect social du nassérisme, même si certains aspects laïques ont pu faire illusion pendant quelques années. Ces régimes ont pu impunément commettre des massacres allant jusqu’à 20 000 – 30 000 personnes (Irak avec les Kurdes et Syrie). La présence de l’armée (et des services de police politique ou de renseignement) se renforce.

Le tournant de 1979-1980

Cette période est cruciale :
• Traité de paix israélo-égyptien. Ceci a neutralisé durablement l’Égypte dans le monde arabe, alors qu’elle passait pour une alternative au despotisme prédateur. En outre, l’Égypte passe de facto dans le « camp occidental ». Ceci renforce le prestige de l’Irak et de la Syrie.
• Révolution iranienne. Apparition de la problématique chiite face aux sunnites. Elle a entraîné la guerre Iran-Irak qui aura duré huit ans et vidé l’Irak de ses forces vives.
• Début du jihad afghan. De jeunes Arabes sont mobilisés en Arabie Saoudite et entraînés par la CIA. Le Pakistan joue un rôle croissant.

Pendant plusieurs dizaines d’années, le monde arabe sera dirigé d’une main de fer par des clans, très autoritaires et souvent minoritaires.

Islamisme

En parallèle, l’islamisme s’est développé mais selon des voies différentes :
• L’islam bigot (voile, signes extérieurs). Cet islam est réactionnaire et conservateur mais peu politique. Il idéalise les premiers temps de l’islam.
• L’islam politique « discipliné ». Ces partis participent aux élections souvent dans le camp conservateur en acceptant des principes de droit proches des principes européens.
• L’islam radical. Petits groupes coupés de la société qui s’adonnent essentiellement au terrorisme.

Évolutions souterraines

En parallèle de ces évolutions visibles, des facteurs démographiques ou anthropologiques souterrains s’avèreront déterminants après l’an 2000.

Le monde arabe connaît une transition démographique :
• On passe de 7 enfants par femme dans les années 1970 à 3,5 en 2000, et à 2,1 en 2010 dans plusieurs pays. La polygamie est, en général, marginale (~ 2 %).
• La famille étendue patriarcale fait place à la famille nucléaire. Les aînés exercent moins de pouvoir sur les cadets, notamment sur les filles.

Ces pays ont connu une forte hausse de leur population. L’Égypte passe de 48 millions d’habitants en 1986 à 75 millions actuellement, la Syrie de 6 millions d’habitants en 1970 à 20 millions actuellement.

Ces pays ont donc des populations jeunes.

La sphère intellectuelle arabe joue un rôle fort dans les mutations internes depuis trente ans. Cette sphère est beaucoup plus unifiée que la sphère politique et les biens culturels circulent assez librement. Les intellectuels ont brisé de nombreux tabous : religion, politique, sexualité. De plus en plus de personnes participent à ces débats (même dans les monarchies du Golfe).

Les « révolutions » actuelles

Pour beaucoup, c’est la première fois que des Arabes se révoltent pour la démocratie. En réalité, le monde arabe a connu des périodes de forte aspiration démocratique (vers 1850 avec la popularisation des idéaux français, la Constitution tunisienne…).

Ces révolutions se caractérisent par leur côté pacifique : elles visent des changements internes (pas de slogans anti-américains ou anti-israéliens). Les dirigeants s’étaient coupés du peuple et de la jeunesse, qu’ils croyaient plus dépolitisée qu’elle n’est réellement. ■

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