Quelle évolution du leadership américain ?

Plénière du 9 décembre 2008
avec Susan George
ancien membre du Cercle Condorcet de Paris
Présidente d’honneur d’ATTAC France
Présidente du conseil du Transnational Institute à Amsterdam

{{{Quelle Evolution du Leadership Américain ?}}}

La campagne de Barack Obama puis son élection comme Président des Etats Unis ont suscité un fort engouement en Europe et dans le Monde. Toutefois, une analyse plus précise de l’élection Américaine, de l’état des Etats Unis et des premières décisions de Barack Obama doit être réalisée pour, au-delà de l’émotionnel, essayer de comprendre et de prévoir l’attitude des Etats Unis dans le prochaines années. Ceci permettra aussi de répondre à la question sur l’évolution du leadership Américain : en effet, si la façon de gérer les affaires du monde de George Walter Bush était exécrable, une situation où les Etats Unis seraient trop faibles ou complètement repliés sur eux-mêmes ne serait pas forcément bonne.

{{I-Quelques éléments sur l’élection Américaine}}

Malgré un certain absentéisme républicain dans les états acquis d’avance aux républicains, le taux de participation de 61% a été très supérieur aux taux habituels (environ 50%). Ceci est en partie le résultat des campagnes des démocrates pour que les jeunes en général et surtout les jeunes des minorités s’inscrivent sur les listes électorales puis aillent voter.
Le système Américain de vote par Etat et de désignation de grands électeurs grossit énormément les différences. Barack Obama a gagné environ les deux-tiers des grands électeurs (il aurait pu se passer du gain de l’Etat de New York et de la Californie) malgré une victoire beaucoup plus limitée en nombre de voix : 52,6% du « vote populaire ».

Cette victoire, certes claire et forte, ne traduit pas un raz-de-marée démocrate après huit années de présidence GW Bush. Ceci montre que l’élection aurait pu être beaucoup plus serrée si Mc Cain avait mieux choisi son colistier et surtout si la crise financière n’avait pas éclaté en septembre (l’élection se serait alors plus jouée sur des thèmes de politique étrangère et de sécurité).

L’analyse plus fine des résultats montre un raz-de-marée de Barack Obama chez les Noirs mais aussi une très forte victoire chez les Latinos (ce qui était moins attendu). En revanche, les Blancs ont majoritairement voté Mc Cain avec notamment une majorité de 58% du vote des Blancs avec un niveau de formation limitée (baccalauréat ou moins).
Aux USA, le vote est donc plus souvent fondé sur des considérations culturelles ou religieuses que sur des intérêts économiques .

{{II- Les Travaux d’Hercule de Barack Obama}}

Après 20 ans de présidences républicaines et 30 ans de révolution conservatrice, très légèrement atténuée par les présidences Clinton, les USA se trouvent dans un état catastrophique dans de nombreux domaines :

L’éducation :

– les écoles dans les grands centres urbains, s’écroulent
– pour la première fois depuis plus d’un siècle, la probabilité est très forte pour que les enfants ne fassent pas des études plus poussées que leurs parents
– d’après la loi « No child left behind » qui part de bonnes intentions, les écoles doivent accomplir des tâches supplémentaires mais sans moyens supplémentaires
– la faiblesse des crédits fédéraux alloués à l’éducation et l’absence de péréquation à l’intérieur des Etats créent des disparités de moyens très importantes entre les écoles suivant qu’elles sont dans des quartiers riches ou pauvres
– l’explosion des frais de scolarité des grandes universités les rendent encore plus élitistes. En outre, les déficiences du système secondaire rendent quasiment impossible l’accès à une bonne université d’un élève venant de quartiers pauvres pour des raisons scolaires. La baisse des frais de scolarité, notamment en première année, promise par certaines universités d’élite vise moins à la mixité sociale qu’à l’internationalisation du recrutement.
Cette situation très difficile peut sembler bizarre dans un pays qui avait institué l’école primaire gratuite en 1804 et où beaucoup reconnaissent le niveau d’éducation comme un facteur fondamental du niveau de réussite économique du pays.

La Santé

Le système de santé Américain coûte environ 16% du PIB et les coûts on crû 4 fois plus vite que les salaires mais :
– 45 millions de personnes sont sans couverture médicale réelle
– très peu de prévention est réalisée et l’obésité ou le diabète deviennent de vrais problèmes de santé publique

Energies et infrastructures

La part des énergies alternatives est encore très limitée (fort lobby pétrolier) et de nombreuses infrastructures (énergie, routes et autoroutes, voies ferrées, …) sont en mauvais état ou doivent être développées quantitativement.

Militaire/Géopolitique

Malgré la dépense de centaines de milliards de dollars, la situation en Irak reste difficile et celle de l’Afghanistan se dégrade.
La présidence Bush avait relégué le conflit Israélo/Palestinien au bas de son agenda sans comprendre que c’était un point clé à résoudre. Sous l’influence de l’AIPAC (American Israeli Public Affair Committee), lobby juif conservateur, GW. Bush a laissé les mains libres aux Israéliens : il n’a donc pu se positionner ni en arbitre ni en facilitateur.
Enfin, la situation au Pakistan se détériore chaque jour et les Islamistes cherchent à torpiller le radoucissement des relations avec l’Inde.

Institutions/Juridique

La longue présence républicaine à la tête des Etats Unis a permis aux conservateurs de réaliser des nominations importantes :
– 2 juges à la Cour Suprême pour George Walter Bush après les nominations de Ronald Reagan/George Bush père. Celle-ci est à la limite de basculer dans le camp conservateur.
– 250 juges fédéraux inamovibles ont été nommés par George Walter Bush ce qui constitue un socle conservateur à l’appareil judiciaire Américain.

Le poids des lobbies s’est renforcé : Barack Obama a dû donner des gages à la NRA (lobby des armes à feu) pendant sa campagne.
Enfin, le système de financement des campagnes par des dons privés a permis à Barack Obama de recevoir beaucoup de petits dons de particuliers ou de dons plus substantiels d’acteurs mais il a reçu un soutien significatif du monde de la banque et des affaires.

La situation des Etats Unis était déjà mauvaise avant que la crise financière, puis la crise économique ne s’abattent sur le pays. Il va donc falloir à Barack Obama beaucoup de courage politique et de savoir-faire pour renverser les effets de la révolution conservatrice. Les Etats Unis sont devenus une société de classes bien distinctes avec des inégalités croissantes (l’ascenseur social, pilier de la démocratie Américaine ne fonctionne plus).

{{III- Les ambitions et les premières décisions de Barack Obama}}

Barack Obama arrive, comme tout nouveau président, plein d’ambitions :
– relancer l’économie Américaine : investir dans les infrastructures routières et ferroviaires, dans les infrastructures de télécommunication, dans les énergies alternatives, la recherche et l’éducation ;
– s’attaquer à certaines inégalités : diminuer fortement les impôts des retraités moyens et modestes, élargir la couverture maladie (mais selon un processus beaucoup plus simple que celui prévu par Hillary Clinton en 1993) sans toutefois aller vers une couverture maladie nationale et totale pour tous ; …
– tout en essayant de juguler la crise économique à court terme donc en soutenant l’industrie automobile par exemple et en limitant, si nécessaire, certaines importations (textile par exemple) ;
– essayer de résoudre la crise au Proche et au Moyen Orient :
o redonner à la solution du conflit Israélo-Palestinien une forte priorité (faire preuve de « tough love » vis à vis des protagonistes de la région)
o retirer les troupes Américaines d’Irak (ou au moins l’essentiel) d’ici à fin 2010 sans que cela ne déstabilise trop la région ;
o investir plus en Afghanistan ;
o enfin, se concentrer sur le Pakistan qui représente le cœur du problème et de la solution au terrorisme (durant la campagne, Barack Obama a déclaré être prêt à bombarder le territoire Pakistanais s’il est avéré que des camps terroristes s’y trouvent notamment dans les zones tribales).

Ce programme est très ambitieux et il sera très difficile de tout faire surtout quand on sait que le seul sauvetage des banques coûtera 700 milliards de dollars et que les Etats Unis cumulent des déficits budgétaires et commerciaux colossaux, même s’il peut s’appuyer sur une administration très efficace surtout à l’international.

Au-delà des mots prononcés lors de la campagne, les premières décisions de Barack Obama sont ambiguës :
– d’un côté, la constitution d’une équipe expérimentée mais assez conservatrice ;
– de l’autre, un changement de ton et des propos ouverts notamment vis-à-vis des pays musulmans.

Les nominations de son cabinet peuvent rendre sceptique sur ses chances de réussir :
– Rahm Emmanuel est proche des faucons Israéliens et Hillary Clinton est proche de l’AIPAC ;
– dans le domaine économique, beaucoup d’anciens banquiers et de fils spirituels de Robert Rubin sont nommés. Il est donc probable que peu de mesures dures seront prises vis à vis des banques. Toute régulation contraignante du système financier sera vraisemblablement refusée ;
– le secrétaire au Commerce siège au Conseil d’Administration de plusieurs grandes firmes Américaines.
Ceci a permis à Karl Rowe (le stratège de George Walter Bush) de dire que l’équipe choisie pour la politique étrangère était rassurante et un autre leader républicain estimait que plusieurs de ces nominations auraient pu être effectuées par John Mc Cain.
Le changement de ton de Barack Obama (sur les relations internationales comme sur la reconnaissance de ses propres erreurs) est intéressant. Toutefois, son élection a engendré des réactions mitigées en Russie et en Chine. Il est aussi à noter que le nouveau Président des États Unis s’est très peu exprimé sur ses liens éventuels avec l’Europe et sur la possible coopération avec notre continent.

{{IV- Conclusion}}

Il est bien entendu trop tôt pour donner un avis sur la présidence Obama, mais il hérite d’un tel ensemble de problèmes avec des moyens financiers si limités (et fortement dépendants de la Chine) qu’un succès total de sa part est peu probable. L’équipe qu’il est en train de se choisir est expérimentée (pour compenser son inexpérience) mais elle risque de ne pas favoriser des solutions permettant aux USA de vraiment rebondir : réguler le système financier et le mettre au service de l’économie, cesser de vivre à crédit, cesser de gaspiller l’énergie, développer le « Clean Tech » et la recherche , … tout en menant une politique étrangère plus équilibrée (acceptation du multilatéralisme, position plus impartiale au Moyen Orient, amélioration des rapports avec la Russie, …). En outre, les Républicains ne lui faciliteront pas la tâche dès, qu’ils le pourront.
Barack Obama a donc suscité un fort enthousiasme qui risque d’être déçu notamment en Europe. On peut alors se demander si les Européens ne doivent pas suivre la recommandation d’Hubert Védrine : définir des sujets de coopération avec les USA sur lesquels les Européens seraient unis et les promouvoir très rapidement auprès de la nouvelle Administration Américaine tant qu’elle n’a pas fini de définir sa ligne politique et son agenda. Ceci serait aussi positif pour Barack Obama qui trouverait là un support pour imposer sa ligne à son équipe et aux USA.

Synthèse par Michel Cabirol

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