“Renouveler la Gauche, Repenser les fondements”

Synthèse présentée à la Presse le 21 septembre 2004
par Jean-Baptiste de Foucauld

Les transformations de notre monde et de notre société comme les réactions de nos concitoyens échappent aux grilles classiques d’explication sur lesquelles la politique a fonctionné. Les analyses politiques développées aujourd’hui sont insatisfaisantes. Il est temps de poser clairement les termes des sujets de notre temps.

Pour contribuer à cette recherche et à cette réflexion, huit clubs ont constitué un réseau. Ce sont : Actes et Paroles, le Cercle Condorcet de Paris, Convictions, Gauche moderne, Re-formes, Réunir, Témoin/Cahiers démocrates et Vouloir la République.

Ces clubs ne sont pas d’accords sur tout ; ils ne pensent pas la même chose sur de nombreux points. Mais il leur paraît intéressant d’expliciter leurs désaccords pour en vérifier la teneur et l’argumentation, afin d’approfondir l’analyse et de revenir aux finalités, tout en pratiquant entre eux une éthique de la discussion. Cela devrait permettre, ensuite, d’élaborer un ou des programmes dans de meilleures conditions.

Ils ont constitué à cet effet quatre groupes de travail dont les rapports ont été discutés les 17 et 18 septembre 2004 lors d’une Université d’été qui s’est tenue au VVF de Forges-les-Eaux, autour du thème “Renouveler la gauche, repenser les fondements”. Les débats qui ont réuni une centaine de militants en présence d’experts étrangers et français (cf. programme ci-joint) ont mis en valeur les points suivants :

1. Nécessité pour la gauche plurielle de se reposer la question anthropologique et de s’interroger sur les mobiles du comportement humain

Il y a à cela deux raisons principales :
– D’une part, certains craignent une “sortie de route” de l’humanité, celle-ci s’avérant incapable de maîtriser les risques écologiques (climatiques, nucléaires, etc.), génériques (par mésusage de la révolution du vivant) et chaotiques (crises systémiques mélangées, guerre économique, fondamentalisme et terrorisme). Une mutation humaine, dans cette perspective, est donc nécessaire, une nouvelle sagesse, une “anthropolitique”.
– D’autre part, une société à la fois plus juste et plus écologique, donc plus sobre à l’échelle nationale et mondiale, implique de nouvelles formes de solidarité : sur quels modèles de comportement reposent-elles ?

A cet égard, la représentation, de plus en plus dominante, de l’individu comme un simple calculateur rationnel paraît à la fois inexacte et dangereuse. La nature humaine est à la fois plus malléable et plus complexe. Un comportement social équilibré doit faire sa part simultanément à l’intérêt et au désintéressement, et reconnaître la dette et les obligations de chacun envers les autres et la société, tout en faisant appel à la liberté créatrice de tous. Lorsque l’un de ces quatre pôles de l’intérêt et du désintéressement, de l’obligation et de la liberté, est nié, ou lorsqu’il est hypertrophié, la pathologie sociale s’installe. C’est le risque que le libéralisme fait courir à la société. Mais c’est aussi une leçon que la gauche plurielle ne doit pas oublier.

Il en résulte notamment deux conséquences :

– D’une part, les politiques publiques doivent sortir de leur logique instrumentale et s’intéresser plus à la société : elles ne peuvent se limiter à des “mesures” ; elles doivent aider à la solidification des personnes, susciter des acteurs autonomes et responsables, aider à la formation de nouveaux liens sociaux, notamment pour ceux qui en sont exclus, favoriser des contextes de confiance et de coopération, respecter les institutions en les renouvelant ; et aussi éviter les changements brusques répétés et imposés d’en haut qui érodent le capital social et les capacités d’action des réseaux.

– D’autre part, et corrélativement, la qualité démocratique des prises de décision importe autant que le contenu des décisions elles-mêmes. D’où l’importance accrue de la démocratie participative, de la création d’espaces publics où une éthique de la discussion, débarrassée du souci de la décision immédiate, puisse s’imposer ; et la nécessité, pour ressouder le lien entre la politique et des citoyens dont l’autonomie s’est accrue, de co-construire les politiques publiques.

2. La gauche plurielle ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le capitalisme, sa dynamique et ses crises : comment passer d’une croissance trop incertaine à un vrai développement durable ?

Les débats ont mis en valeur les points suivants :

– L’impact croissant du système économique actuel sur les conditions de la vie privée et de la vie familiale, et plus généralement la monétarisation croissante des rapports sociaux.

– Le changement de nature du capitalisme du fait de la mondialisation, de la financiarisation et de l’économie de la connaissance. Il en résulte des phénomènes contradictoires : dilution des pouvoirs des États-nations mais, simultanément, forte demande de normes qui doivent être transnationales ; demandes de nouveaux biens publics mondiaux mais absence d’institutions suffisamment fortes pour les protéger et assurer leur partage ; plus grande stabilité idéologique du fait de l’extension du nombre des propriétaires mais accroissement excessif des pouvoirs des dirigeants des entreprises.

Trois orientations apparaissent nécessaires ou envisageables :

1. Contrer la tendance à la marchandisation de la société et créer des espaces économiques et sociaux y échappant ; reprendre la réflexion non seulement sur la place des services publics, mais sur l’économie sociale et solidaire qui, quelles que soient ses insuffisances, a été trop négligée par la gauche, alors que la tradition de l’association, celle des producteurs et celle des citoyens, est l’une des forces du mouvement socialiste français.

2. Travailler à de nouvelles régulations sociales du capitalisme en créant de nouveaux contrepouvoirs, par exemple en utilisant délibérément les fonds d’épargne collectifs pour créer des comportements de responsabilité sociale.

3. Parallèlement, mettre en place les nouvelles régulations écologiques qui sont indispensables, soit en donnant des indications de hausse de prix à long terme pour les biens rares, soit en élaborant et en mettant en œuvre les normes nécessaires grâce à la mise en place d’une institution internationale en charge de ces sujets faisant pendant à l’OMC.

3. Face aux nouveaux défis mondiaux, l’Europe doit définir un projet mobilisateur

La plupart des représentants de l’Interclubs avaient signé en novembre 2003 un appel au “oui” à la Constitution, sous réserve que celui-ci comporte une clause de révision à la majorité, clause qui n’a pas été introduite dans le projet.

Un débat entre les partisans du “oui” et les partisans du “non” au projet actuel a eu lieu dans le cadre de l’Université d’été Interclubs sur la base de deux argumentations qui avaient été élaborées à cet effet.

Il est apparu que ce débat, qui traverse l’ensemble des clubs et la société française, était nécessaire et qu’il peut être mené sereinement, sans procès d’intention ni arrière-pensées. Sa difficulté vient notamment de ce qu’il met en lumière, d’un seul coup, tout un refoulé démocratique européen (absence de débat suffisant sur l’Acte unique, sur l’élargissement) et français (l’Europe alibi des questions que notre pays ne veut pas affronter, mauvais rapport de la France avec “l’autre” en Europe, etc.).

Il est apparu ensuite que ce qui importait était de clarifier l’objet du “oui” ou du “non”. Dans l’un et l’autre cas, l’Europe a besoin d’un projet mobilisateur que les travaux préparatoires ont permis de préciser. Il porte sur une politique de défense et de sécurité d’une part, sur la politique économique d’autre part. La mise en place d’un véritable budget européen apparaît ici comme une priorité fondamentale, qui doit être mise en œuvre sans tarder, ce qui est une question de volonté.

Les débats qui ont eu lieu, notamment avec les experts étrangers invités, ont mis en valeur plusieurs décalages qu’il faudra dépasser : pour beaucoup de jeunes, l’Europe est une réalité porteuse d’identité et pourtant elle n’existe encore que très imparfaitement sur le plan institutionnel ; l’Union européenne, regardée de l’extérieur, apparaît bien comme un modèle spécifique, alors que, vue de l’intérieur, sa diversité est grande et a même tendance à s’accroître avec l’élargissement ; le concept d’Europe-puissance, qui apparaît aujourd’hui comme une vision française, est présent dès l’origine du projet européen, l’idée des fondateurs étant de récupérer collectivement une puissance perdue individuellement par les États ; l’image de la France en Pologne est aujourd’hui mauvaise et pourtant la France est le premier investisseur étranger dans ce pays.

Tous les participants ont insisté sur le rôle du temps pour résorber progressivement ces décalages, en faisant bien la part des divergences d’ordre conjoncturelles et circonstancielles et celles qui sont plus conceptuelles et durables (les relations avec les États-Unis notamment).

Il est apparu aussi que l’Europe devrait être amenée à définir ce qui est extérieur à elle-même, qu’elle ne pouvait pas ne pas se préoccuper de la question tchétchène dans ses relations avec la Russie, et que, en matière de sobriété écologique, elle pouvait jouer un rôle de médiateur entre les pays prédateurs et les pays du Tiers-monde.

4. Pour améliorer le contenu des politiques, il faut travailler sur les formes qui y conduisent

Les participants ont souligné le lien étroit qui unit les formes et les contenus des politiques. La réussite des réformes implique de nouvelles formes d’expression.

Les individus sont de plus en plus autonomes, et veulent être sujets, non objets, des politiques ; ils sont engagés, mais autrement qu’ils ne l’étaient ; ils veulent que les politiques répondent aux questions qu’ils se posent eux et non aux questions que le système politique leur impose. Leur rapport avec les institutions a changé. Plus encore qu’hier, le pouvoir se légitime par l’acceptation.

Un décalage s’est créé entre d’une part une réelle créativité sociale, de nouvelles formes de ressources humaines et de sociabilité qui se manifestent un peu partout, notamment dans les petites associations, et les institutions qui bénéficient de moins d’adhésion, de participation ou d’engagement. Il y a comme un chaînon manquant dans une démocratie participative qui reste largement à inventer.

La recherche sur ces sujets, qui se poursuivra dans le cadre d’un séminaire, portera sur les points suivants :

– Reconnaître simultanément plusieurs formes de légitimité : celle, classique, de la représentation, mais aussi celle des citoyens engagés dans une action reconnue par l’opinion, ainsi que celle de l’innovation.

– Réviser des formes anciennes de participation (comme le mutualisme) et en accepter de nouvelles comme la formation de communautés de fait sur le Net, le foisonnement associatif, les conseils de quartier, le rôle de la rue, etc.

– Travailler sur la mise en forme des politiques pour qu’elles soient comprises et intériorisées par les citoyens, une fois discutées et démocratiquement élaborées.

– Réfléchir aux conditions de représentation et d’expression de catégories sociales nouvelles, comme les jeunes.

– Libérer les formes, mais sans décrédibiliser les institutions.

Interclubs va faire circuler ses travaux et ses problématiques au sein des partis politiques, et poursuivre ses réflexions en vue d’une ou de plusieurs publications sur ces sujets.

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