Un nouveau gadget ?

Comme tous les malheurs en ce bas monde, l’impasse où a débouché le “socialisme” des temps du libéralisme triomphant voit de bonnes âmes se muer en sauveteurs. Une des trouvailles, qui fournira du grain à moudre aux gazettes pendant quelques semaines, a été de proposer des primaires pour toute “la gauche”. N’ergotons pas sur le terme, même si cette “gauche” en capilotade fait obligation aux progressistes de redonner vie à un idéal de transformation sociale qui peut paraître aujourd’hui aussi désuet que l’ancien projet de “changer la vie”. La gauche, donc, que l’on voudrait revivifier afin d’éviter en 2017 le cauchemar d’avoir à arbitrer entre la droite et l’extrême-droite. Cette proposition de primaire part du constat ayant toutes les apparences du bon sens que François Hollande, nonobstant ses interventions dans l’ancien pré colonial, ses maniements de la matraque sécuritaire et sa douteuse communication sur les attentats, que François Hollande serait éliminé au premier tour comme le fut Lionel Jospin. On ne commentera pas l’hétéroclite des promoteurs de l’exercice, même si on peut s’étonner qu’une Dominique Méda et un Thomas Piketty, d’ordinaire mieux inspirés, mais sans doute aveuglés par le chagrin face à la débandade du camp du progrès, aient embarqué sur cette galère. Ce qui frappe d’abord, dans l’affaire, c’est le côté « fausse bonne idée » : on ne doit proposer un pareil exercice que lorsqu’on en pressent l’issue probable et qu’on souhaite donner une onction démocratique à ce qui aura été calé préalablement. Mais ici, mais maintenant ? Face à une gauche émiettée, la proposition tient de l’exercice magique. Cela relève au mieux de la magie, en effet, d’espérer qu’à froid, rapidement, un homme neuf surgira, avec un programme à la hauteur des attentes sociales, et que le peuple de gauche remobilisé choisira le « chef » qu’il souhaite parmi tous les prétendants. Un soupçon, à ce stade : et si, au total, bien loin de desservir François Hollande, la proposition ne finira pas, alors qu’on va entamer la dernière année du quinquennat, par démontrer que faute de mieux c’est sur lui que la gauche devra tabler ?

Au-delà de l’anecdote, ce projet de primaire révèle incidemment la transformation de nos mœurs politiques. Et d’abord des mœurs politiques à gauche, où le choix d’un candidat a longtemps été subordonné à l’établissement d’un projet longuement négocié. Si la droite, gestionnaire de l’ordre établi, peut ne veiller qu’à l’habileté politique de son candidat, la gauche, elle, parce que sa vocation est celle de vraies transformations sociales et sociétales, doit en effet privilégier le programme et la cohésion des forces qui en assureront la mise en œuvre. Cette exigence a, il est vrai, été irrégulièrement respectée dans le passé : déjà, le François Mitterrand de 1988 n’est plus celui, à l’évidence, du candidat de 1981 et du programme commun… Mais aujourd’hui, avec la primaire « hors sol » que l’on nous propose, ne va-t-on pas au bout de la dissociation ? On parle du débat d’idées qui l’accompagnerait et dont on espère qu’il ferait émerger un candidat providentiel : dans une démarche réellement progressiste, on se méfierait de cette acceptation avouée des mœurs du temps où un candidat personnellement séduisant et une communication efficace vous assurent une bonne crédibilité. Le piège, ici, est double. A un premier niveau, au lieu d’obliger le « camp progressiste » à clarifier au fond sa ligne directrice (la « politique de l’offre » est-elle l’alfa et l’oméga de la gauche new-look ?), la primaire pourrait n’aboutir qu’à un gloubi-boulga mêlant propositions politiques ignorantes des enjeux centraux du moment, ambitions étroitement personnelles et calculs électoraux partisans. A un second niveau et plus gravement, tout en semblant vouloir donner la parole au « peuple de gauche », la démarche n’avalise-t-elle pas en fait la longue dérive autoritaire de notre démocratie ? Un vieux fonds bonapartiste a toujours été vivant dans le pays : il avait facilité l’acceptation des institutions de la Vème République, le culte du chef chez les gaullistes, et aujourd’hui il n’est évidemment pas étranger à la montée du FN. Faut-il s’étonner d’un sondage (Le Monde, 16.12.2015) révélant que 67% des Français voudraient des experts non élus à la tête du pays? En bout de course, cette idée de « primaire de toute la gauche » ne surprend donc pas : elle satisfait apparemment aux plus pures exigences démocratiques, et en même temps voudrait faire émerger un bon technicien de l’assistanat. Elle est sans doute pétrie de bonnes intentions et prendra peut-être corps. La Fontaine nous aura toutefois mis en garde : relisez Les grenouilles qui demandent un roi.

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