Le coeur et la raison

Le 13 novembre 2015 est déjà une date emblématique, comme l’est le 11 septembre 2001. Les attentats ont fait basculer notre monde familier dans une angoissante incertitude. Une période de dangers s’ouvre, et l’histoire que l’on avait voulu croire apaisée reprend dans le sang sa marche incertaine. L’émotion est grande, la peur aussi et … fondées. Mais certaines exploitations démagogiques de l’angoisse sont dangereuses : la raison doit reprendre ses droits pour éclairer l’avenir.
Déjà notre Droit va être modifié pour renforcer les moyens de l’action policière, et un juste équilibre entre recherche de l’efficacité sécuritaire et préservation des libertés individuelles se révèlera difficile.
Déjà, sur le plan extérieur, la politique du pays a été profondément réorientée en raison d’une « guerre » contre l’EI devenue hautement prioritaire : collaboration avec la Russie, abandon résigné du préalable « Bachar »…
Déjà – justifiées par les urgences du terrain comme par la nécessité de répondre aux inquiétudes avec une action visible – les frappes en Syrie ont été intensifiées. Sait-on pour autant quels sont les buts de guerre, et quelle paix l’on veut instaurer au Proche-Orient ?

Jusqu’ici, les crimes de masse et les attentats-suicides étaient réservés à des musulmans lointains dans un Orient trop compliqué. La distance rassurait. L’ébranlement de notre société tient au fait – but recherché par les terroristes – que chacun se perçoit désormais comme cible potentielle. On découvre que « la guerre du pauvre », avec ses moyens somme toute dérisoires, peut miner les fondements de sociétés riches, puissantes et insouciantes. Image dérisoire à cet égard que celle du porte-avion Charles de Gaulle partant guerroyer contre les trente mille fantassins d’un pseudo-Etat…

La fragilité de notre lien collectif se lisait déjà dans les dérives identitaires, le creusement des inégalités sociales… De nouvelles dissensions se révèlent maintenant, qui touchent aux priorités du projet collectif à reconstruire. Un mot est aujourd’hui en surplomb de ce désarroi : Islam. Des références islamiques dévoyées fondent le terrorisme, mais c’est tout de même avec le vocabulaire de l’islam que les assassins construisent leur discours totalitaire. Dans un pays où la présence musulmane est la première d’Europe, l’affolement peut aujourd’hui engendrer des violences irrémédiables à l’encontre de nos concitoyens musulmans.

Les condamnations de la violence islamiste par des personnalités musulmanes consensuelles risquent d’être insuffisantes : il faudrait que, du plus profond de la « France musulmane », d’autres intellectuels, responsables religieux ou associatifs disent, plus nombreux, plus haut et plus fort, comment ils entendent être réellement partie prenante dans la construction d’un imaginaire collectif réellement en partage. Ces acteurs existent, encore faut-il leur donner la parole plus libéralement, les écouter, les entendre. De son côté, la France « établie » ne devrait-elle pas s’interroger davantage sur son accueil du fait musulman, alors que la dynamique intégratrice est aujourd’hui menacée. Examen de conscience difficile, vu les événements ! Faire vivre dans l’épreuve ses valeurs affichées mesure néanmoins la rigueur humaniste d’une société.

Rappelons-nous sur ce point les mots du premier ministre norvégien (après le massacre d’Utoya) :

{«J’ai un message pour qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça: vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur. Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance.» }

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