La crise sanitaire peut-elle conduire à des changements qui réduisent les inégalités

avec Louis Gallois

19 mai 2021, visioconférence


Il n’est pas aisé, en quelques lignes, de résumer l’ensemble des propos de Louis Gallois lors de cette plénière tant ceux-ci furent riches et variés, traitant certes des conséquences du Covid 19 sur les inégalités mais également de sujets connexes tels que les nécessités de l’immigration face à la baisse de la natalité et les méfaits de la décroissance préconisée par certains, celui-ci répondant en outre à de nombreuses questions. D’entrée de jeu, Louis Gallois nous avertit qu’il limitera son propos à la description des trois sources principales d’inégalités : Inégalités de revenu, de patrimoine et de chance, ces trois critères conditionnant ce que l’on appelle globalement la pauvreté.

Inégalité des revenus. En matière de revenus en Europe, la France n’est pas si mal placée, nous dit-il. Nous avions avant 2020, 14% de la population en dessous du seuil de pauvreté, soit en dessous de 1063 euros par mois (données 2018), c’est à dire moins de 60% du revenu médian. La politique fiscale française, redistributive, a donc un impact assez important pour réduire les inégalités de revenu. Sans cette dernière, 24 % de la population française serait en deçà de ce seuil.
Dès avant le Covid, en 2018-2019, ces inégalités ont recommencé à se creuser. Le revenu des « Gilets jaunes » a augmenté. La seule population dont les revenus n’ont pas progressé et voire même diminué, est celle des 10% les plus pauvres. Ne travaillant pas pour la plupart, ils n’ont pas bénéficié des différentes baisses de charges sociales. Le montant du RSA est resté figé et les autres aides telles que les APL ont été soit réduites soit désindexées.
La Covid 19 a renforcé cette évolution. Le nombre de bénéficiaires du RSA a augmenté de 10%. On a vu s’allonger les files d’attente devant les centres de distribution alimentaire. Les revenus des 20% des plus aisés sont restés inchangés, ces derniers ont même économisé et sont à l’origine – pour l’essentiel – des 100 milliards d’épargne supplémentaire constatée alors que les 20% les plus pauvres se sont endettés et ont perdu du pouvoir d’achat. De nombreux petits métiers et le travail au noir, autrefois sources de rémunération pour les personnes en difficulté ont disparu. De ce fait, le taux de pauvreté, non encore mesuré par l’INSEE, s’est probablement accru de 1%.
Pour l’ancien patron d’EADS, la décroissance, de l’ordre de 10% en 2020, est profondément injuste et ne peut que renforcer les inégalités. N’est-il pas, en effet plus difficile de « partager le gâteau » lors-que ce dernier se réduit ?
Inégalité de patrimoines
En ce domaine, la France est beaucoup moins bien placée qu’en terme de revenus. Cela est dû notamment à la hausse des prix de l’immobilier. Les propriétaires profitent de cette hausse et cela crée des inégalités patrimoniales fortes. Le marché des actions a lui aussi augmenté, bénéficiant aux plus riches.
Ce problème devrait conduire un jour à engager une réforme des droits de succession, ce qui est aujourd’hui, un tabou. Par ailleurs, la suppression de la taxe d’habitation et la fin de l’ISF avantagent elles-aussi les détenteurs de patrimoine.
Inégalité des chances
En France, nous dit le Président de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, l’ascenseur social ne fonctionne plus. Le pire est qu’il n’y a pas de mobilité sociale.
On considère qu’il faut six générations à quelqu’un pour sortir de la pauvreté. Ce qui veut dire que l’on n’en sort pas et que les fils de pauvres engendreront des fils de pauvre… C’est ce qui mine le plus nos concitoyens.
En 2018, le Président de la république avait préconisé de remédier à cela en misant sur la jeunesse. Il avait sans doute vu juste, mais les réalisations n’ont pas suivi.
Inverser la dynamique de creusement des inégalités
En conclusion nous dit Louis Gallois, inverser aujourd’hui la dynamique du creusement des inégalités est une affaire politique pour laquelle il faut d’abord avoir l’appui du pays. Or, actuellement, la notion de solidarité perçue comme un devoir s’effrite. Montée de l’individualisme, chacun pour soi, constituent une menace pour la cohésion du pays.
Il faut arriver à convaincre les Français qu’une société plus égalitaire est plus sûre, plus confortable pour tous parce qu’elle est plus confiante, parce qu’elle est plus optimiste, plus démocratique. Ce travail n’est pas fait actuellement malgré les efforts insuffisamment relayés et valorisés du monde associatif.
Il y a eu certes des élans de solidarité dus à la crise de la Covid envers le personnel soignant et les personnes en première ligne mais ceci demeure insuffisant dans une société « archipélisée » telle que décrite par Jérôme Fourquet. Société dans laquelle « les riches et les banlieues font sécession ».
Pour celui qui fut aussi Commissaire général à l’investissement, Il s’agit d’une bataille culturelle, d’une bataille politique. Il faut que la lutte contre les inégalités devienne un enjeu politique dans le pays. C’est en effet le seul moyen de mettre en œuvre les mesures techniques, fiscales ou sociales nécessaires. Parmi celles-ci, la situation dramatique actuelle des jeunes nécessite la mise en place immédiate d’un RSA jeune. Seuls quatre pays en Europe, dont la France, n’accordent pas aux jeunes ce même avantage qu’ils accordent aux autres.
Il faut donc en premier lieu gagner une bataille idéologique sur la solidarité et la pauvreté.

Synthèse par Jean-Michel Eychenne, Membre du Cercle

Louis Gallois, membre du Cercle Condorcet de Paris en est l’un des fondateurs. Ancien Président de la SNCF, d’EADS et du directoire du groupe PSA, il préside désormais La Fabrique de l’Indus-trie, laboratoire d’idées patronal nouvellement fondé pour réfléchir aux enjeux et aux perspectives de l’industrie française. Il préside par ailleurs la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS).

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