Quelle Recherche pour la France ?

Depuis quelques années, beaucoup a été écrit sur la recherche en France : manque de moyens et de postes, mauvaise organisation et nécessité de bien définir les projets, volonté de rééquilibrage de la recherche entre le public et le privé, …

Au-delà des polémiques stériles, est-il possible :
– d’évaluer objectivement l’état de la recherche en France ?
– de proposer un mode d’organisation et de fonctionnement pertinent pour la recherche ?

I – L’état actuel de la Recherche en France
Suite aux États Généraux de la Recherche de 1981/1982, la France a refait une partie de son retard sur les grands pays industrialisés vers 1992. Depuis, le différentiel avec nos principaux concurrents s’accroît.


Source : OCDE

La différence provient essentiellement d’une faiblesse de la dépense du secteur privé.

Cette situation entraîne un recul régulier de la place de la France dans le dépôt des brevets.

Source : OMPI

Même si les Groupes privés déposent le plus de brevets, les grands organismes publics sont aussi présents.

La dualité du système français de formation post-bac pèse lourd: d’un côté l’université, de ‘autre les Grandes Ecoles. Les dirigeants des entreprises ne sortent pas des universités; et la France compte deux fois moins de docteurs que les autres pays industrialisés. de plus, peu d’entreprises ont la capacité d’encadrer et de suivre la recherche et le travail des chercheurs.

II – Les mesures récentes prises par le Gouvernement sont-elles à la hauteur des problèmes actuels ?
Le gouvernement a promis de faire de la Recherche une priorité et a débloqué 1,8 Milliards d’Euros pour 2008 (soit 0,1% PIB). Malheureusement, ce chiffre relève surtout de la communication :
– 470 M€ serviront à financier des retraites déjà dues
– 400 M€ financeront des Crédits d’Impôts Recherche pour les entreprises privées. L’efficacité de ce mécanisme est médiocre
En revanche, la recherche universitaire ne verra son budget s’accroître que de 6 M€, le programme Réussite en licence ne sera doté que de 40 M€ (pour un million d’étudiants). Quant à l’emploi scientifique, il stagnera au mieux.
L’absence de création de postes scientifiques amoindrit le potentiel de recherche de la France mais surtout envoie un signal négatif aux jeunes générations. Les seuls postes disponibles proviennent des départs en retraite.

III – Quelles règles et quelle organisation pour la Recherche ?
Le malentendu sur l’indépendance des chercheurs et sur la nécessaire évaluation des projets ou sur le manque de productivité des grands organismes de recherche doit être dépassé. Il provient essentiellement de la différence de mécanisme entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée :
– les découvertes en recherche fondamentale ne peuvent être programmées. Elles sont aléatoire et apparaissent dans ce qui n’est pas prévu : « ce n’est pas en perfectionnant la bougie qu’on a inventé l’électricité ». Les découvertes ne sont pas proportionnelles à la quantité d’argent injectée même si certains appareils (accélérateurs de particules, fusion nucléaire, …) sont très coûteux.
– à l’opposé, les résultats en recherche appliquée sont liés à une bonne définition des projets, à une bonne organisation et, souvent, au budget dépensé.
Comme la recherche fondamentale est souvent publique et la recherche appliquée souvent privée, ceux qui veulent brutalement appliquer les méthodes du privé (soi-disant plus performant) à la recherche fondamentale publique commettent une erreur et créent des frustrations voire des dysfonctionnements.
Cette analyse peut être étayée par plusieurs exemples :
– plusieurs mathématiciens Français titulaires de la médaille Fields (le « prix Nobel » des mathématiciens) ont très peu publié
– la trisomie 21 ou le SIDA ont été identifiés par des laboratoires Français qui ne travaillaient pas sur les sujets à la mode ou « nobles » de l’époque
– l’étude des migrations des oiseaux n’était pas un sujet prioritaire jusqu’à l’apparition de la grippe aviaire
– de nombreuses crises (SIDA, « vache folle », grippe aviaire) sont apparues de façon aléatoire
Des prix Nobel ou des responsables de grands instituts mettent en avant la nécessité de pouvoir conduire des recherches « qui ne servent à rien » et de prendre son temps. Attention à « l’élitisme imbécile ».
Il ne faut pas confondre des objectifs techniques et des objectifs de recherche :
– les USA ont réussi à envoyer un homme sur la lune en 10 ans d’effort
– en revanche, tous les plans d’éradication du cancer ont échoué
De même, certaines faiblesses de la recherche Française n’ont pas empêché de grands succès techniques : Airbus, TGV, Ariane, filière nucléaire, BTP (le pont de Millau par exemple),…
Ces considérations n’impliquent pas qu’il faut tout financer sans contrôle ni évaluation. Il faut donc fixer des règles de contrôle et d’évaluation :
– l’État peut intervenir mais son expertise est souvent limitée. Il est donc préférable que son rôle soit focalisé sur la construction des grandes infrastructures de recherche et sur le respect des règles
– l’indépendance des chercheurs doit être maintenue face aux intérêts particuliers ou aux lobbies.
Ceci favorisera le travail en commun en limitant la concurrence stérile
– toute évaluation doit être faite dans la transparence (par exemple via des comités de visite et par l’évaluation transparente des projets). On ne doit plus entendre des remarques comme « si on n’est pas dans les bons réseaux on est broyé ». Cette transparence sera favorisée par la simplification des demandes de financement des projets. Il faut éviter le saupoudrage et le copinage (l’allocation de fonds de lutte contre le SIDA devra être revue).
Dans ce contexte, le système de primes liées aux objectifs deviendrait acceptable alors qu’actuellement il conduit parfois à des dérapages.
Les relations avec le reste de la société concernant les questions éthiques (des travaux sur des embryons ou sur des cellules souches aux OGM) devant aussi être organisées :
– la parole des scientifiques a une résonnance particulière dans la société
– un débat sérieux nécessite une information objective et pluraliste des citoyens
– l’éthique du débat doit être respectée
Enfin, les changements devront être progressifs : accroître massivement les budgets dans certaines disciplines s’avèrera contre productif et génèrera du gâchis.
Pour consolider la recherche Française et maintenir un haut niveau, il serait bon de regrouper l’ensemble des établissements publics en une dizaine de grandes structures (comme cela a été fait avec succès en Grande Bretagne).
L’Europe a essayé avec le 7ème PCRD2 d’améliorer son soutien à la recherche fondamentale mais le Conseil des Ministres a divisé par deux l’enveloppe prévue et l’accès aux financements s’avère trop compliqué (financement de 200 projets sur tous les pays et pour toutes les disciplines) .

IV – La Recherche et l’Éducation
Les chercheurs mettent en avant l’intérêt d’enseigner et donc de transmettre les connaissances même au niveau de la licence. Ceci va contre les propositions (notamment de Claude Allègre) de « faire commencer » l’université au Mastère et de considérer les 2 ou 3 premières années d’université comme le prolongement de la scolarité secondaire.
Un des grands problèmes des enseignants chercheurs est le manque de personnel de support : ils sont submergés de tâches administratives qui les empêchent de mener à bien leur double tâche d’enseigner et de chercher. Une comparaison entre les universités Françaises et Américaines montre que le principal désavantage des universités Françaises tient à leur manque en personnel de support et en moyens.

V – La Recherche et son Aval
Ce sujet n’a pas été traité en détail mais quelques pistes peuvent être envisagées :
– meilleure veille de la part des sociétés Françaises concernant les nouveaux développements dans leur domaine. Un mois après ses premières conférences sur la magnétorésistance géante, Albert Fert recevait la visite d’une délégation d’IBM dans son laboratoire.
– les entreprises privées devraient embaucher plus de docteurs. Leur direction est essentiellement issue des grandes écoles où on fait très peu de recherche voire où le fait de faire un doctorat est négativement perçu.
– le financement des petites entreprises est très mal assuré (capital source notamment)
– la valorisation de jeunes sociétés par des fonds Américains est très supérieure à celles des intervenants Français. Ceci conduit de nombreuses sociétés à se vendre à des investisseurs étrangers qui, certes, vont les développer à l’international et notamment aux USA mais qui vont avoir tendance à déplacer les centres de décision et les lieux d’investissement.

Conclusions
Garder en France une recherche de haut niveau et impliquée dans l’essentiel des domaines (scientifiques, sciences humaines, …) est central si la France veut rester une grande puissance économique. Il faut accélérer les coopérations Européennes quand c’est possible.
Le plan du gouvernement actuel ne répond ni aux enjeux financiers ni d’organisation (l’Agence Nationale pour la Recherche n’est pas le véhicule adéquat pour gérer la recherche Française). Le gouvernement se trompe notamment car il fait une analyse idéologique et non factuelle et stratégique de la recherche fondamentale (qui est souvent publique). Le privé doit augmenter son effort de recherche et sa capacité de veille.
Enfin, le financement des jeunes sociétés doit être augmenté pour qu’elles ne soient pas rachetées systématiquement par des fonds étrangers (surtout Anglo-Saxons).

par Michel CABIROL , co-Président du Cercle

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