QUELLES POLITIQUES POUR EVITER LE SYNDROME JAPONAIS À LA ZONE EURO ?

Plénière du 18 décembre 2014, animée
par Dominique PLIHON , Professeur à l’université Paris XIII et membre du Conseil scientifique et porte-parole d’ATTAC. Il est également directeur de l’École doctorale Érasme.

Dans une situation où la croissance de 0,3% pour l’ensemble de la zone euro et l’inflation sous-jacente, négative de 0,2% (hors effet produits importés dont les produits pétroliers) suscitent la crainte de la déflation, quelles leçons peut-on tirer de l’expérience japonaise étendue dans le temps? Quelles politiques pour l’Europe ?

{{Retour sur l’expérience japonaise}}

Le Japon est la première grande puissance à être entrée dans la déflation à la fin des années 90 et à y être demeurée dans la longue période.
Le processus a duré 25 ans, il s’est engagé au début des années 90 avec un ralentissement brutal de l’inflation, puis s’est accéléré avec une baisse des prix de 0,3% par an entre 1998 et 2012. De 1999 à 2012, le taux d’inflation est négatif. Il en est résulté une augmentation de la charge de la dette.
Au départ, trois bulles: boursière, immobilière et bancaire ont provoqué un resserrement brutal de la politique monétaire. Cette politique monétaire trop restrictive, combinée au surendettement de l’économie japonaise a provoqué le passage de l’objectif de désinflation à la spirale de la déflation.

La demande privée chute, les consommateurs anticipent la baisse des prix et ralentissent leur demande, les entreprises en situation d’incertitude sur l’évolution de la situation intérieure freinent leur investissement, l’activité s’établit à un niveau plus bas qui favorise la reproduction des anticipations négatives.

La mise en place de politiques anti-déflationnistes vigoureuses s’opère lentement avant de passer à une phase plus stimulante. Et les autorités ont mis du temps après la crise de 2008-2009 à obliger les banques à assainir leur bilan.
Pour sortir de la déflation une thérapie de choc était nécessaire. Elle a été mise en place par le gouvernement conservateur de Shinzo Abe qui a fait de la lutte contre la déflation son objectif prioritaire.

La Banque Centrale a dans ce cadre conduit une politique monétaire très expansive avec un objectif d’inflation de 2%, un doublement de la base monétaire, un taux directeur de 0% à 0,1%. Et elle a laissé s’opérer une dépréciation du yen.

{{
La situation en zone euro }}

Dans la zone euro la situation manifeste des traits communs avec celle du Japon : une déréglementation financière excessive a favorisé l’apparition de bulles immobilières et boursières couplées à une crise bancaire. Le surendettement des acteurs privés et publics fait craindre une déflation par la dette comme celle qui a été observée en 1933.
Les bulles financières affectent les banques qui rationnent le crédit.
Dominique Plihon souligne que dans les situations où la crise financière affecte les banques qui assurent la liquidité de l’économie, la crise est une crise grave. Sinon à l’exemple des crises de 1987 et 2000 ce sont des crises que l’économie surmonte assez rapidement.

En 2008-2009, les banques étaient concernées en première ligne et il n’y a pas eu de mécanismes d’adaptation. Le point commun avec le Japon est le surendettement tant public que privé, ce qui peut engager une déflation par la dette au sens de Fisher, processus cumulatif dont les agents endettés n’arrivent pas à sortir.

Mais il existe des différences entre la situation du Japon et celle de la zone euro. La différence essentielle est que le Japon a eu une politique budgétaire relativement expansionniste dans les années 90. En Europe la politique expansionniste n’est apparue qu’après la crise de 2008-2009 et avec une faible réactivité au départ de la crise. Elle avait été précédée en 2007 et au début de 2008 par une hausse des taux d’intérêt et une politique budgétaire pro-cyclique.
Les autorités n’ont pas été assez vigoureuses pour obliger les banques à assainir leurs bilans de la charge des actifs risqués, et les politiques conduites sur la réforme des structures bancaires ont été trop timorées.

Or les politiques économiques ont un rôle majeur dans la relance des économies. La dimension psychologique est importante, il s’agit d’agir sur les anticipations et en les modifiant de favoriser l’activité et une certaine inflation, ce qui rend nécessaire le recours à une thérapie de choc.
L’erreur à ne pas commettre est la hausse de la fiscalité et en particulier celle de la TVA. Erreur qui a été commise par S. Abe qui en décidant une hausse importante de la TVA a ralenti la consommation.

La France a fait la même erreur au début de 2014 en haussant la TVA.
Dominique Plihon juge la situation européenne critique et souligne que le mot n’est pas trop fort.

En effet, on observe un chômage historiquement élevé qui en Espagne et en Grèce atteint 50% des jeunes.

La prise de conscience de cette situation a été tardive. La chute de l’investissement est antérieure à la crise en particulier en France. Aujourd’hui l’investissement est inférieur de 20% à celui de 2007. La production potentielle a baissé de 800 Milliards par rapport à l’avant crise. Et la baisse de l’inflation laisse le taux réel d’intérêt à un niveau non négligeable, fondant des anticipations négatives.

{{Quelles politiques pour éviter la déflation ?}}

La déflation étant un processus cumulatif il faut rendre aux politiques budgétaires et monétaires leur rôle contra-cyclique selon 3 priorités :

– La réduction du poids de la dette tant publique que privée.

– Priorité absolue doit être donnée à l’investissement, variable clef du redémarrage.

– Agir sur les anticipations par la parole des gouvernements, par la réduction du

{{
poids de la dette}}.

Elle a donné lieu à une conférence européenne qui a dégagé les voies suivantes de solution: allonger les échéances, baisser les taux d’intérêt sur la dette, pratiquer le « hair cut » c’est à dire concrètement annuler une partie de la dette.

La Banque Centrale Européenne est pour sa part intervenue vigoureusement. Son intervention a été massive sur le marché des dettes publiques et privées et s’est opérée sur le marché secondaire. Elle a de plus proposé aux banques de leur racheter les titres de crédits faits aux PME, mais l’enveloppe que la BCE a proposée n’a pas été entièrement souscrite.

Il est possible aussi d’envisager de nouvelles formes d’endettement. La mutualisation de la dette a été rejetée par l’Allemagne mais pourrait être confiée à un organisme financier spécialisé. Le projet de « project bonds » a également été proposé, et a soulevé l’objection de l’aléa moral, il constituerait un encouragement à l’endettement des pays en difficulté.

Un autre type de solution consisterait dans la hausse des prix. Olivier Blanchard (Directeur des études du FMI) avait proposé un objectif d’inflation de 4% pendant 10 ans pour alléger la dette.

En ce qui concerne la relance de l’investissement, il faut observer qu’en France les dépenses d’innovation et de recherche développement ont baissé. La transition énergétique pourrait les susciter puisqu’elle devrait représenter 3% du PIB par an pendant 10 ans. Ce qui aurait un triple effet: stimuler l’activité, ainsi que les impacts politiques et psychologiques positifs qui pourraient en résulter.

Le Plan Junker de 315 Milliards d’euros en 3 ans est sur le même objet insuffisant et inadapté. Il est insuffisant par rapport aux travaux antérieurs de la Commission et ne propose pas de ligne directrice Un effet limité est à attendre des 21 Milliards d’euros de mise initiale supposés produire un effet de levier.

La question reste celle du financement à long terme, qui pourrait être assuré par des recettes provenant de taxes sur les transactions financières à un taux suffisant, ou par une Eco-taxe à laquelle des économistes libéraux comme Jean Tirole sont favorables.

En conclusion, quel pourrait être le scénario de l’Europe en 2030 ?
Pour Dominique Plihon le scénario le plus probable est celui de l’éclatement de la zone euro qui laisserait place soit à une Europe fédérale dont on voit qu’elle permettrait la coordination des politiques budgétaires et monétaires, soit à une Europe à monnaies multiples articulées à l’euro.

Synthèse par Françoise Renversez, membre du Cercle

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