“Une éthique de discussion, un modèle pour la société” par Didier Sicard

Le Cercle Condorcet de Paris a demandé à Didier Sicard, Président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé de venir nous parler de la création et du mode de fonctionnement de ce Comité. Didier Sicard a été aussi, en 2012, le coordinateur d’une Commission chargée par le Président de la République de réfléchir sur les modalités d’assistance au décès pour les personnes en fin de vie.

{{Un bref historique}}

Le premier Comité National d’Ethique a été créé en 1983 par Jean-Pierre Chevènement et Philippe Lazar sous la présidence de François Mitterrand. Jean-Pierre Chevènement avait réuni des « Etats généraux de la Science », lesquels avaient conclu à la nécessité de créer une instance spécifique pour traiter des sujets difficiles posés à la société par les avancées scientifiques (c’était l’époque du premier bébé par fécondation in vitro). Son premier Président fut le Professeur Jean Bernard jusqu’en 1992. Lui a succédé Jean-Pierre Changeux jusqu’en 2000. Didier Sicard a pris sa suite jusqu’en 2008. Il en demeure le Président d’Honneur, ainsi que son successeur Alain Grimfeld. Le Président actuel est Jean-Claude Ameisen.

Ce Comité fut le premier de ce type au monde. Depuis, cette instance a fait école. Il en existe actuellement 150 dans divers pays. Le seul pays qui n’a pas créé ce genre de structure est la Grande Bretagne, qui s’est dotée d’un autre type d’instance : le « Welcome Trust » qui a ses caractéristiques et ses avantages spécifiques.

Le Comité français se compose de 40 membres, élus pour 4 ans avec un mandat renouvelable une fois.

Les personnes sont désignées par différents organismes – INSERM, CNRS, Conseil d’Etat, INRA, Académie des Sciences, Cour de Cassation…, mais celles-ci ne siègent pas au sein du Comité au titre de l’origine de leur mandat, ce qui pose parfois des malentendus et des problèmes qu’il appartient au Président de traiter. Elles siègent en tant que personnes et leur fonction est bénévole. Cinq personnes sont choisies pour leur appartenance aux différentes familles philosophiques et spirituelles présentes dans notre société. Le Président du Comité est désigné par le Président de la République. Il est résulté de cette composition et de ce mode de fonctionnement un caractère unique et une grande richesse que l’on retrouve rarement dans les autres instances.

Tous les deux ans, les divers Comités de par le monde se réunissent et échangent sur les contenus de leurs travaux, établissant ainsi un lien entre les différentes réflexions éthiques de chaque pays.

Le Comité National d’Ethique est saisi de questions qui lui sont posées, soit par un responsable politique, soit par une personnalité de la Science, soit encore par un simple citoyen.

{{L’éthique de la discussion}}

Chacun des membres du Comité National d’Ethique arrive avec ses convictions propres qui sont fonction de son âge, de son origine professionnelle, de sa culture, de ses engagements…

L’étrange – et l’enthousiasmant à la fois – est de voir évoluer au cours des débats les positions initiales de chacun, de voir les certitudes subir une mutation. Chaque séance dure quatre heures. Au cours de la discussion, l’écoute de l’autre est primordiale. Le rôle du Président est de retenir, au fil des échanges, les idées porteuses de créativité, de rassembler les « briques » qui permettront de construire l’édifice (la position commune). Il est surprenant de voir comment l’intelligence collective retentit sur l’intelligence individuelle et comment cette intelligence collective est capable de produire des objets de pensée inattendus. Il est surprenant aussi de constater cette capacité qu’a une société à construire quelque chose qui dépasse la singularité de chacun. C’est « l’ivresse d’œuvrer pour le bien commun », le sentiment d’appartenir à l’Humanité et d’apporter sa pierre. En préalable à la discussion, les différentes questions abordées sont instruites par un comité technique.

{{Une illustration du mode de fonctionnement du Comité National d’Ethique : la « fin de vie ».}}

La France est, dans le monde, le pays « champion » de l’acharnement thérapeutique, certes avec certains bénéfices parfois, mais ceci pose aussi la question de la relation entre la liberté de chacun avec les valeurs de la République.

Le corps médical, la médecine en général, y jouissent d’une délégation de pouvoir exorbitante. On attend de cette dernière qu’elle restaure la santé, quelle que soit la gravité du problème. On lui confie la totalité du salut de la vie. On lui demande de nous sauver de l’effroi de la mort considérée par notre société comme un échec, alors que dans d’autres cultures elle fait partie de la vie. C’est un rempart illusoire. Mourir est devenu plus difficile au 21ème siècle qu’au siècle précédent. Le rapport à la mort a perdu de son évidence. Il faut rendre à la fin de vie sa place dans la vie.

En 2000, sous la présidence de Didier Sicard, le Comité National d’Ethique avait produit l’avis 63 concernant la fin de vie et un terme juridique nouveau est apparu : « l’exception d’euthanasie », qui a suscité beaucoup d‘émois, mais n’a jamais été retenu dans la loi.

En 2002, la Loi Kouchner avait franchi un premier pas en faisant reconnaître le droit des malades à refuser des traitements.

En 2005, est apparue la Loi Léonetti (qui est en cours de révision à l’Assemblée Nationale). Avec cette loi, on s’est orienté vers une extension des prérogatives antérieures : « double effet », c‘est à dire possibilité d’abréger la vie si les traitements nécessaires sont à des doses telles qu’elles deviennent létales, développement des soins palliatifs. En outre, les personnes qui sont « en fin de vie » doivent pouvoir dire clairement : « je ne veux plus que cela dure », et être entendues.

L’acharnement thérapeutique est une particularité française. Il y a sur ce point un excès du pouvoir médical, tant dans les soins en général, que dans les soins palliatifs. Ces derniers sont, le plus souvent, limités aux derniers jours de la vie, alors qu’il conviendrait d’en avoir une conception plus large, par une prise en charge plus en amont.

L’intervenant rejette pour sa part l’euthanasie active telle qu’elle se déroule au Benelux en raison de la brutalité de la mort donnée (médicaments anesthésiques et curare), de la difficulté pour l’entourage médical d’en faire une continuité des soins, de l’extrême ambivalence de l’accompagnement par l’entourage, malgré la forme encensée de certains films et témoignages.

{{Une mission sur la « fin de vie » confiée à l’orateur.}}

En 2012, une mission de concertation avec les citoyens a été confiée à Didier Sicard par le Président de la République. Accompagné de 4 hommes et 4 femmes, il a sillonné la France, auditionné 150 personnes, rencontré des infirmier(e)s, des pompiers, des médecins, des universitaires …

Le résultat de ces rencontres a été d’une grande richesse. Selon le principe suivant lequel une pensée a besoin d’être travaillée avant d’être restituée, la méthode choisie a été celle d’un travail de groupes (de 9h à 13h) sur des sujets divers proposés par les participants et non par les membres de la mission. Dans chaque groupe œuvraient un médiateur et un rapporteur qui restituait la teneur des échanges de 14 à 17h. Des enquêtes ont également été conduites auprès de personnes en fin de vie (par des gens formés à cela et avec l’accord de la famille).

A partir des informations recueillies, un état des lieux des désirs des citoyens en France a été dressé en vue de répondre à la question : « Qu’est-ce que les français attendent » ? Cette démarche se définit comme une tentative pour que les vœux des citoyens soient entendus et leur imaginaire non caricaturé.

La solidarité d’une société en a été le point central. La réflexion a notamment porté sur le point suivant : comment une société peut-elle être capable de montrer sa solidarité, de considérer que chacun de ses membres, lorsqu’il est en fin de vie, doit pouvoir bénéficier d’une prise en considération, d’une attention, afin qu’il éprouve le sentiment de ne pas être exclu de par son état. Le concept de sédation profonde terminale a été, semble-t-il, retenu comme respect de la volonté des personnes lorsqu’elles s’expriment sur ce souhait. L’objectif majeur est de redonner la parole aux malades avec l ‘importance donnée aux directives anticipées contraignantes.

L’orateur conclut son exposé en s’attardant sur les conditions dans lesquelles s’opère la « fin de vie » aujourd’hui. Elles sont bien différentes de ce qu’elles étaient il n’y a pas si longtemps lorsque la « fin de vie » faisait l’objet d’un accompagnement avec tous les proches et les amis. Aujourd’hui, l’écrasante majorité des « fins de vie » ont lieu à l’hôpital et dans une certaine solitude. L’orateur souligne à cet égard la densité de la présence hospitalière dans notre pays qui n’a pas d’équivalent dans le monde. L’acharnement thérapeutique qui s’y produit trop souvent empêche une certaine sérénité dans l’approche de la mort. Celle-ci doit être repensée dans une société ainsi instrumentalisée.

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